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L’Allemagne et la France se battent pour empêcher la renaissance de la Russie

Auteur : M.K. Bhadrakumar | Editeur : Walt | Mercredi, 02 Janv. 2019 - 15h06

Une déclaration conjointe franco-allemande concernant l’Ukraine a condamné vendredi la Russie et exigé la libération immédiate des marins détenus à la suite de l’incident dit du Kertch en novembre. Moscou a riposté dans un langage tout aussi fort en rejetant sommairement la demande franco-allemande.

La motivation franco-allemande pour provoquer la Russie reste floue. Peut-être qu’une combinaison de circonstances serait en jeu. À Berlin et à Paris, il y a une certaine frustration que l’année 2018 s’achève avec Moscou dans une situations plutôt confortable dans le cas de l’Ukraine. L’Ukraine est de facto divisée en deux pays distincts, avec le Donbass sous la tutelle de Moscou. Le rattachement de la Crimée à la Russie est également devenu irréversible. En résumé, le coup d’Etat de février 2014 à Kiev s’est avéré être un désastre pour les puissances occidentales : Pour prendre en comparaison la découpe de viande de bœuf, Moscou a obtenu les meilleures parts, dont la partie la plus tendre, la Crimée.

Soit dit en passant, Moscou a annoncé le 28 décembre l’achèvement de la construction d’une clôture de 60 km à la frontière entre la Crimée et l’Ukraine.

La Russie construit une barrière entre la Crimée et l’Ukraine

L’Occident, de son côté, est aux prises avec une Ukraine résiduelle qui est plutôt un passif à long terme – politiquement, militairement et financièrement. Sur le plan géopolitique, les tensions entre l’Occident et la Russie sont devenues désespérément compliquées et la mer Noire, en particulier, s’est transformée en une région contestée. À l’époque de Barack Obama, la tournure des événements de 2014 aurait pu avoir une logique plus grande dans la mesure où le changement de régime en Ukraine (parrainé à l’origine par l’Union Européenne et poussé à son paroxysme par les États-Unis) est devenu un tournant de la politique des grandes puissances de l’après-guerre froide.

Cela a renforcé le leadership transatlantique des États-Unis, a conféré à l’OTAN un nouveau sens dans son orientation, la Russie étant présentée comme un « ennemi », a contrecarré (du point de vue américain) les incursions diplomatiques prédatrices de Moscou en Europe et a galvanisé l’intégration de l’Ukraine dans le système d’alliance, faisant ainsi un grand pas en avant dans la stratégie américaine d’encerclement de la Russie.

Cependant, les plans les mieux conçus sous Obama ont mal tourné. Certes, l’intervention russe en Syrie en septembre 2015 peut avoir été en partie attribuée aux tensions qui se sont développées dans les liens de Moscou avec l’Occident, le Kremlin estimant que sans une prise de pied en Syrie, une présence russe effective en Méditerranée serait inacceptable. La Russie a alors renversé par la force le conflit syrien, détaché la Turquie du camp occidental, forgé une véritable alliance avec l’Iran et établi une présence politico-militaire permanente dans le paysage moyen-oriental.

Plus important encore, Hillary Clinton n’a pas réussi à remporter l’élection présidentielle américaine de 2016 pour mener l’agenda de Obama en Ukraine jusqu’à sa conclusion logique qui était de contenir la Russie. Donald Trump, au contraire, ne s’intéresse pas vraiment à une stratégie occidentale concertée vis-à-vis de l’Ukraine et on peut même se demander s’il voit ou non des intérêts pour les États-Unis en Ukraine. Ainsi, malgré le travail actif, et même proactif, de l’axe secret du Pentagone sous James Mattis (qui était alors le commandant de l’OTAN) et des partisans de la ligne dure parmi les alliés en Europe, Trump est resté indifférent à l’idée de transformer l’Ukraine en un foyer de violence contre la Russie. Le soutien de Trump à Kiev a été bien loin d’être optimal.

Il est concevable que l’éviction de Mattis de son poste de secrétaire à la défense démoralisera les partisans de la ligne dure parmi les alliés européens des Etats-Unis. Leur sentiment de vulnérabilité face à la résurgence de la Russie ne fait que s’accroître. En effet, l’annonce du retrait de Trump de la Syrie les a également stupéfaits, car ils craignent de voir s’installer le spectre d’une Russie triomphaliste en marche.

Pour l’Allemagne comme pour la France, une situation piquante est également en train de se présenter parce que le retrait des Etats-Unis de Syrie dévoilera leur propre intervention militaire clandestine en Syrie sans aucun mandat des Nations Unies, sans légitimité en vertu du droit international. Ironiquement, sans l’assentiment de la Russie, les crimes de guerre commis par les forces allemandes et françaises en Syrie risquent d’être camouflés au cours de la période à venir, ce qui mettrait très mal à l’aise leur image soigneusement cultivée de modèle de l’ordre international libéral. La presse russe a laissé entendre que Moscou est en mesure de dénoncer les crimes de guerre allemands et français en Syrie.

La déclaration commune franco-allemande s’inscrit donc dans le contexte du point d’inflexion des relations de la Russie avec l’Europe. Ce qui complique les choses, c’est que la politique allemande est en ébullition. L’Ukraine, sans aucun doute, constitue une tache sombre dans l’héritage de politique étrangère de Mme Merkel, parce qu’elle a personnellement pris une grande part dans l’impulsion du changement de régime à Kiev en 2014, mais aujourd’hui, elle assiste impuissante au déclin continuel de l’Ukraine.

Quelles sont les options disponibles pour Paris et Berlin sur l’Ukraine face à la Russie ? Les lignes de faille dans leurs relations avec Trump affaiblissent sérieusement leur capacité à faire face à la résurgence russe. Par ailleurs, la résilience de l’axe franco-allemand dans le scénario européen post-Merkel lui-même reste à voir. Bien que la France assume la présidence tournante de l’UE en janvier prochain, la position politique du président français Emmanuel Macron à la tête de l’Europe est loin d’être convaincante.

Paradoxalement, les sanctions à l’encontre de la Russie ont privé les puissances européennes de la capacité d’exercer leur influence sur Moscou. La Russie a survécu aux sanctions. Selon une déclaration du ministre russe de l’énergie, Alexander Novak, la semaine dernière, Moscou a obtenu une manne de revenus supplémentaires de l’ordre de 100 milliards de dollars grâce à la matrice OPEP+ au cours des deux dernières années. D’autre part, le succès du « Swamp » à Washington dans le blocage des plans de Trump visant à améliorer les relations avec la Russie a seulement garanti que les relations russo-américaines sont en chute libre. Il semble peu probable que Trump parvienne à redresser les relations américano-russes au cours des deux prochaines années de son mandat présidentiel. Certes, si l’administration Trump continue sur la voie de l’abandon du Traité nucléaire à portée intermédiaire, la sécurité européenne subira un sérieux coup. Dans l’ensemble, à l’approche du 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin l’année prochaine, il semble que les vainqueurs et les perdants de la guerre froide restent indéterminés.

Traduction Avic – Réseau International


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