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Billet en passant : Cette autre guerre, celle de l’idéologie

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Jeudi, 27 Déc. 2018 - 21h31

Beaucoup s’interrogent sur la Troisième Guerre mondiale, d’aucuns de prévoir où elle commencera, et les zones de conflits ne manquent pas, d’autres de l’assimiler au terrorisme. A chaque fois, l’on imagine une guerre comme elles furent. Avec des Etats et des armées, qui se lancent les unes contre les autres. D’où « troisième ». D’où « mondiale ». Celle-ci aura pourtant très peu de chance d’avoir lieu, faute d’Etats et d’hommes d’Etat. Faute d’être contraire aux intérêts du commerce. Mais la guerre nouvelle, effectivement la dernière, est en cours. Cette guerre non pas des Etats, mais contre les Etats, cette dernière guerre de ce monde errant autour de l’idéologie libérale. Qui a fait autant de morts que le communisme, qui a enchaîné les hommes à leur outil de travail puis à leurs découverts bancaires, qui a retourné des systèmes politiques, détruit des Etats, ouvert des guerres locales, massacré, brûlé, gazé en masse. Et continue. Avec des Etats affaiblis ne pouvant réagir comme Etat. Des managers falots à la place des politiques. Cette guerre est la Chienlit généralisée. Parfaitement illustrée dans la zone ukrainienne.

L’on a toujours une guerre de retard et notre époque n’échappe pas à la règle. L’on imagine une autre guerre, dite la dernière parce que nucléaire, qui mettra fin à l’humanité. Or, depuis des années, les Etats sont sous le feu, leur souveraineté a fondu pour n’être plus qu’un pâle reflet des splendeurs passées. Les dirigeants sont remplacés par des technocrates, des managers, qui lorsque besoin s’en fait dans la population sont momentanément propulsés un instant au zénith des dieux … avant de s’effondrer avec fracas faute de carrure. Les politiques ne sont plus nationales, mais globalisées et les intérêts aussi, le plan national est nié. L’homme a été transformé en individu ou en migrant, il y a ainsi moins de risque pour la résurgence des nations. Le héros est celui qui part pour mieux consommer et non celui qui va défendre sa terre. Les combats se font localement pour l’appropriation de terres, les habitants sont en surplus. Il reste encore quelques zones de résistance relative, notamment en Russie, plongée dans la globalisation économique et le culte managérial, mais défendant sa souveraineté. Le refus de la globalisation politique est le dernier sursaut de la guerre idéologique, lancée avec l’émergence du libéralisme, contrebalancé par le socialisme, qui s’est globalisé et allant au bout de sa logique veut conquérir les dernières terres – les hommes suivront.

Pourquoi parle-t-on toujours des « crimes du communisme », tout en taisant les crimes du libéralisme? Parce que l’une des idéologies a perdu et que l’autre a gagné. Donc l’on ne parle pas du travail des enfants pour les multinationales, l’on ne parle pas des révolutions organisées dans les pays dissidents pour des raisons économiques, l’on ne parle pas des guerres sanglantes contre ceux qui osent avoir des ressources naturelles « nationales », l’on ne parle pas de la destruction du système d’éducation pour que les gens ne puissent surtout pas avoir une vision réfléchie et continue, mais fractionnée et émotive. Facebook, la nouvelle école mondiale. Ce sont les crimes du libéralisme, du libéralisme qui comme toute idéologie veut transformer l’homme et la société selon ses voeux. Qui, comme toute idéologie, détruit les hommes pour façonner les masses.

Et nous arrivons à un moment culminant. La radicalisation du libéralisme, sa transformation logique en néolibéralisme, qui combat ouvertement aujourd’hui les Etats et les hommes, provoque des réactions. Locales avec les montées populaires, mais non organisées et discréditées. Géopolitiques avec une cristallisation du conflit incarné par les Etats-Unis pour le globalisme (hors Trump) et la Russie pour le souverainisme (hors ses élites politico-économiques). Des acteurs étatiques eux-mêmes en faux dans leur rôle.

Ce conflit, le dernier, car il mettra fin au paradigme idéologique dans lequel nous avons vécu depuis des siècles, est en cours. Ce n’est pas la fin de l’humanité, c’est la fin de notre monde, il y en aura d’autres. Le libéralisme néolibéralisé et globalisé s’enfonce en se radicalisant, tombe le masque accueillant et bienfaisant pour dévoiler le visage d’une idéologie, totalitaire comme toute idéologie. Dont le but est finalement assez trivial, n’a rien à voir avec les libertés, mais se résume bêtement en la recherche et la défense … du fric. Que l’on peut appeler différemment: liberté d’entreprendre, liberté du commerce, liberté artistique (= commercialisation des spectacles, films, etc.), liberté d’expression (= commercialisation des supports de cette expression), liberté de circuler (pour vendre et acheter) … Donc l’Etat gêne. Il doit disparaître. Ce qui est en train de se passer. Mais une fois disparu, il entraînera dans sa perte le libéralisme dévoyé et « extrémisé », qui n’a pas su généré de modèle de gouvernance équilibré stable. Puisqu’il détruit aujourd’hui dans sa quête de pouvoir total le modèle qui a fait sa grandeur. La guerre est ici.

On la voit menée par d’autres armes, celle des commerçants. Les sanctions économiques sont à la pointe. Chacun adopte de nouvelles restrictions au nom de la liberté et de ses « valeurs ». Ce qui se passe en Ukraine est une parfaite illustration de cette Chienlit globalisée. L’on ne fait pas la guerre, l’on déclare la loi martiale, qui concrètement s’est traduite dans les différentes régions ukrainiennes de manière totalement absurde ici par l’interdiction de la chasse, là par la limitation de la vente d’alcool aux militaires, etc. Elle prend fin, sans savoir comment la prolonger et sans n’avoir rien réglé, puisque le conflit n’est pas prêt de finir – il est nécessaire au clan globaliste dans son combat contre la Russie souveraine. Donc, faute d’attaquer, l’on envoie deux bateaux dans le Détroit de Kertch pour forcer la frontière, attribut fondamental de l’Etat. La Russie réagit et franchit la ligne rouge, car elle ne tire qu’un seul coup, mais tire. Ce qui provoque une déflagration politique proportionnellement inverse à l’ampleur des dégâts (quelques blessés). Car dans ce monde, les souverainistes n’ont pas le droit de tirer à balles réelles, ils doivent rester dans le cadre des échanges de tirs de communication. Le clan globaliste monopolise le droit de tirer, monopolise le droit d’intervenir dans le monde réel. Comme les Etats-Unis en Syrie, sachant très bien qu’au-delà du discours, seules les actions dans le réel auront un véritable impact sur la suite des évènements. La communication n’est qu’un complément, voire un nuage de fumée.

La guerre est en cours, mais elle est transformée, stylisée en quelque sorte, car un véritable conflit serait mauvais pour le commerce. Alors, l’OTAN fait des manoeuvres aux portes de la Russie, qui va renforcer ses forces dissuasives aux frontières. Le conflit sera virtualisé et aboutira à une nouvelle cristallisation des forces. Et paradoxalement intègre tout à fait que les premières victimes soient les civils, comme dans le Donbass ou en Syrie. Seules les armées sont tenues à distance. Les guerres sales sont utilisées pour faire ce qu’il n’est pas possible de dire.

Cet affaiblissement des Etats, de ceux qui restent, et le discrédit des politiques empêchent de régler le moindre conflit, quelle que soit son échelle. Il mute, il se cristallise, puis reprend sa mutation, passe sur un autre plan. Moins d’évènements réels se produisent pour le régler, plus la communication est amplifiée pour mettre en écran de fumée entre les populations et les décideurs. Car les populations, elles, attendent des actes. Mais des actes supposent l’existence d’une volonté claire du but et d’une vision du chemin pour y arriver.

Cela ressemble aux derniers sursauts d’un modèle idéologique qui se fissure, se défait, pour autant flotte encore grâce à la faiblesse des moyens de résistance, amenuisés avec le temps et une longue campagne de discrédit. Ce modèle peut flotter longtemps encore, d’autant plus que rien n’est aujourd’hui pensé en remplacement. L’on propose de nouveaux ajustements, mais la capacité d’imaginer un nouveau paradigme est, semble-t-il, paralysée.

C’est la Chienlit globalisée. C’est cette guerre qui se joue sous nos yeux. Et nous laisse au moins le temps de préparer l’avenir. Drôle de consolation …


- Source : Russie politics

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