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L’UE se dresse enfin contre la « tyrannie » américaine à propos des sanctions contre l’Iran par Pepe Escobar

Auteur : Pepe Escobar | Editeur : Walt | Mardi, 02 Oct. 2018 - 15h13

Bruxelles met en place un «  véhicule spécial » pour contourner le dollar américain et permettre la poursuite des transactions financières avec Téhéran

L’histoire pourrait un jour décider que ce fut le moment géopolitique fatidique où l’Union Européenne a obtenu son doctorat en politique étrangère.

La semaine dernière, la responsable de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, ont annoncé à l’ONU la création d’un Fonds commun de créances (FCC) pour faire face aux sanctions de l’administration Trump contre l’Iran après le retrait unilatéral américain du JCPA, connu aussi sous le nom d’accord nucléaire iranien.

Mogherini a particulièrement insisté en disant que  » concrètement, cela signifiera que les Etats membres de l’UE créeront une entité juridique pour faciliter les transactions financières légitimes avec l’Iran, ce qui permettra aux entreprises européennes de continuer à commercer avec ce pays conformément au droit communautaire et pourrait être ouvert aux autres partenaires dans le monde « .

Le FCC, qui, selon Mogherini, « vise à maintenir les échanges commerciaux avec Téhéran pendant que les sanctions américaines sont en place », pourrait entrer en vigueur avant le début de la deuxième phase des sanctions américaines, début novembre.

Cette initiative unique signifie que Bruxelles tente de se positionner comme un acteur géopolitique sérieux, défiant ouvertement les Etats-Unis et annulant pour l’essentiel la campagne de diabolisation de l’Iran lancée par la Maison Blanche, la CIA et le Département d’Etat.

On ne rappellera jamais assez que le JCPOA est un accord multilatéral approuvé par l’ONU et obtenu après des années de négociations laborieuses. Les autres signataires du JCPOA en dehors de l’Iran et des États-Unis – la Russie, la Chine et les trois pays de l’UE (France, Grande-Bretagne et Allemagne) – ont toujours été déterminés à poursuivre l’accord tout en soutenant l’Iran dans le domaine nucléaire civil.

Cela a peut-être pris quelques mois, mais les trois pays de l’UE ont finalement réalisé ce que Moscou et Pékin savaient déjà : toute affaire avec l’Iran – ce qui est dans l’intérêt de tous les acteurs – doit contourner le dollar américain.

Nous en arrivons donc maintenant à une situation où l’UE-3 mettra en place un mécanisme financier multinational, soutenu par les États, pour aider les entreprises européennes à faire des affaires avec l’Iran en euros – et donc loin des autorités financières des États-Unis.

Parallèlement, la Russie et la Chine feront des affaires avec l’Iran en roubles et en yuans.

Les négociants en énergie avertis savaient que les membres du BRICS Moscou et Pékin continueraient à faire des affaires pétrolières et gazières avec Téhéran. L’Inde, membre du BRICS, s’est toutefois repliée sous la pression américaine.

Le FCC permettra à l’Iran de maintenir au moins les 40% de ses exportations pétrolières qui étaient destinées au marché de l’UE et permettra même à des géants européens de l’énergie d’investir dans les infrastructures iraniennes. Il ouvre également une voie de secours pour les consommateurs d’énergie facilement effrayés comme l’Inde.

Et d’une manière totalement symbiotique, le SPV ouvre une autre voie pour la Russie et la Chine également. Après tout, le mécanisme du SPV contournera le réseau financier belge SWIFT, sur lequel les États-Unis s’immiscent à volonté. Le SPV pourrait devenir le mécanisme post-SWIFT privilégié, permettant d’accroître encore les activités transfrontalières à travers l’Eurasie et de s’étendre vers le Sud.

Le désarmement du Dollar ?

Les diplomates de l’UE ont fait part à Asia Times d’un sentiment d’exaspération absolue à Bruxelles à l’égard de l’administration Trump. Un diplomate résume ce sentiment : « Nous n’allons plus nous laisser intimider par des interférences extraterritoriales. Le JCPOA a été le premier succès de la politique étrangère de l’UE. Nous avons travaillé très dur pour l’obtenir et nous sommes déterminés à ce que l’accord ne soit compromis en aucune circonstance. »

D’autre part, le conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton – qui n’est pas un personnage très populaire à Bruxelles – a promis de continuer à exercer une « pression maximale » sur Téhéran et menace l’UE si le FCC est appliqué.

Pour Bruxelles, la préservation du JCPOA est sacro-sainte. Elle est directement liée à la crédibilité des institutions bruxelloises qui sont toujours assiégées. S’ils s’effondrent, une catastrophe potentielle lors des prochaines élections du Parlement européen en mai 2019 deviendra une certitude.

Le jeu révèle sa complexité lorsque l’on considère que l’Iran a été le catalyseur qui a permis à l’UE de tenir enfin tête aux États-Unis – et potentiellement de se rapprocher de la Russie et de la Chine. Ce que nous voyons émerger, ce sont les contours d’une éventuelle alliance trans-Eurasie, sur de multiples fronts, entre la Russie, la Chine et l’Iran – les trois nœuds clés de l’intégration eurasiatique – et l’UE-3.

C’est un jeu digne d’un maître d’échecs persan impliquant des guerres énergétiques, l’équilibre du pouvoir en Asie du Sud-Ouest, le pouvoir absolu du système financier mondial sous contrôle américain et le statut du dollar américain – soutenu par le pétrodollar – comme monnaie mondiale de réserve.

Tous ces thèmes étaient à l’affût depuis des années dans les couloirs de l’UE à Bruxelles – les commissaires et les diplomates faisant pression pour un euro plus fort dans le commerce mondial (tout comme à Pékin pour ce qui est du yuan).

On peut soutenir qu’une offensive concertée menée par le FCC conduira l’euro, le yuan et le rouble à devenir à terme des monnaies de réserve crédibles. Gare au Dollar en tant qu’arme.

Traduction Avic – Réseau International

Photo d'illustration: De gauche à droite, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères Federica Mogherini, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas et l’ancien ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson après une réunion à Bruxelles, le 15 mai 2018. Photo : AFP 


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