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Vendredi, 19 Avr. 2024

Les empereurs nus ne suscitent pas beaucoup de respect

Auteur : Robert Gore | Editeur : Walt | Mercredi, 26 Sept. 2018 - 22h07

Que se passe-t-il lorsque la plupart de vos infrastructures militaires deviennent soudain obsolètes ?

L’empereur a toujours été le dernier à réaliser qu’il était nu. Ce n’est pas surprenant, les empereurs sont les derniers à découvrir quoi que ce soit. Qui a le courage de leur dire la vérité, surtout si cette vérité est dérangeante ? Il en va de même pour l’empire américain, dont la plupart des citoyens, organes de presse et responsables ignorent ou ne veulent pas reconnaître l’existence. La vérité, c’est que l’empire américain, reconnu ou non, est fini. Il faudra des années avant que cela ne soit accepté par la classe dirigeante. Ils n’informeront jamais officiellement leurs sujets, qui sont piégés par l’énorme gaspillage qu’ils font de leurs dépenses.

Les empires sont construits sur la force militaire. L’empire américain ne fait pas exception. Beaucoup d’Américains pensent encore que l’armée américaine jouit de la domination qu’elle avait en 1946, une notion que Vladimir Poutine a enterrée le 1er mars. À cette date, il a annoncé de nouvelles armes qui rendront obsolètes notre flotte navale de surface, nos forces terrestres, nos bases mondiales et nos systèmes antibalistiques (voir iciici et ici). Les dirigeants militaires américains ont reconnu à contrecœur bon nombre des affirmations de Poutine.

La conclusion sans équivoque est que la plupart des dépenses militaires américaines ne sont qu’un État-providence avec des épaulettes. Il paie pour les armes, les bases et le personnel dont l’inutilité serait révélée dans la demi-heure qui suivra le déclenchement d’une guerre non nucléaire avec la Russie. Nous n’avons aucune défense conventionnelle contre les nouvelles armes russes.

C’est un piètre réconfort que de savoir que les installations terrestres, les sous-marins et les dispositifs de dissuasion nucléaire aéroportés des États-Unis sont toujours pertinents. Si la Russie ou quelqu’un d’autre lançait une attaque conventionnelle ou nucléaire contre nous, nous pourrions annihiler l’agresseur. La destruction que nous avons subie serait équivalente en nature, mais la planète pourrait devenir inhabitable.

Heureusement, on peut dire avec une certitude de 99 % que la Russie n’a pas l’intention de lancer une guerre, nucléaire ou conventionnelle, contre les Etats-Unis. Ce pays veut ce que beaucoup de pays et de citoyens américains veulent : que le gouvernement américain le laisse tranquille. Bien qu’elle ne dépense que 10 pour cent de ce que les États-Unis font dans les domaines militaire et du renseignement, la Russie a maintenant les moyens de lui faire face. Les Chinois sont juste derrière.

L’histoire ne dit pas ce qui est arrivé à l’empereur et à ses courtisans après que le garçon ait révélé sa nudité, mais on peut supposer que les membres les plus malins de son entourage ont dû se diriger vers la sortie. Pourquoi rester sur un navire qui ne peut plus naviguer sur les haut fonds de la réalité ?

Les États providence – donner de l’argent à des gens qui ne l’ont pas gagné – mènent inévitablement à la corruption qui pourraient tout aussi bien en être le synonyme. Pendant des années, les Etats-Unis ont acheté le respect de leurs diktats au sein de leur empire confédéré, se taillant la part du lion en matière de défense. Les pays qui accueillent des bases militaires américaines accueillent les emplois et les dépenses tout comme les districts du Congrès chez nous.

Même avant son annonce du 1er mars, Poutine demandait aux Américains comment pouvaient-ils se sentir en sécurité avec des bases non nucléaires, nationales et étrangères, ce qui avait provoqué un silence gênant. Les dépenses militaires et l’économie de la Russie sont éclipsées par celles des États-Unis et du protectorat de l’UE ; une invasion russe de l’Europe, même avec ses nouvelles armes, serait suicidaire. Les chances que la Russie ou tout autre pays envahisse les États-Unis sont encore plus minces. La Russie a été envahie beaucoup plus souvent qu’elle n’a envahi d’autres contrées et, outre le fait de sécuriser son propre voisinage, elle ne manifeste aucune volonté de lancer une guerre offensive. Poutine a souligné le rôle défensif des nouvelles armes.

Après l’annonce, les bases américaines seront des cibles et le personnel qu’elles abritent des otages. Cela inclut les bases mobiles connues sous le nom de flotte de surface américaine, notamment les porte-avions. Ils n’ont aucune défense contre le missile hypersonique Kinzhal (Dagger), lancé par des avions d’une portée de 2000 kilomètres, capable d’atteindre Mach 10.

Se défendre en mer ou sur terre contre les nouveaux missiles de croisière à propulsion nucléaire des Russes – dont la portée est pour ainsi dire illimitée – est possible mais problématique, surtout s’ils sont lancés en nuages. Le lieu n’a plus d’importance. Peu importe que l’avant-poste américain soit en Allemagne, au Texas ou au milieu du Pacifique, ils sont tous vulnérables.

La récente proposition de la Pologne visant à ce que les États-Unis y établissent une base militaire, aux frais de la Pologne, qui pourrait s’appeler Fort Trump, est une sérieuse candidate pour être qualifiée de projet le plus fou de l’année, voire de la décennie. Fort Courage, de l’émission de télévision loufoque de la troupe F, serait un nom plus approprié. C’est une chose de sauter dans le train des dépenses militaires américaines, c’est tout simplement vénal et corrompu. Mais installer une base militaire inutile et payer pour l’installer, c’est une bêtise incalculable. Le but de la politique est de faire payer quelqu’un d’autre pour vos idées stupides, mais peut-être qu’ils font de la politique différemment en Pologne.

Si vous dirigez l’un des protectorats américains, pourquoi devriez-vous accepter les diktats de l’empire quand il ne peut plus défendre votre pays ? La question a ajouté du piquant en Europe. Sans même tenir compte des nouvelles armes de la Russie, comment un pays qui a raté ses engagements militaires dans des pays de deuxième ordre comme le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan et la Syrie pourrait-il défendre l’Europe sans une guerre nucléaire ? Si la réponse est que ce n’est pas possible, d’où vient l’effet de levier américain ? Les Etats-Unis exigent davantage de dépenses de défense inutiles et font pression sur l’Europe pour qu’elle réduise ou cesse ses relations commerciales rentables avec la Russie et l’Iran, deux pays qui représentent une menace minimale pour la sécurité de l’Europe. Pourquoi l’Europe devrait-elle s’y conformer ?

Le président Trump a remis en question les subventions américaines pour la défense de l’Europe. Quels efforts les Etats-Unis feraient-ils pour défendre la Macédoine ou la Lettonie ? Si la réponse est : pas grand-chose, ou s’ils ne peuvent pas protéger ces pays ou tout autre pays européen, alors les subventions sont le seul « ciment » de l’Empire américain, de la division européenne. On ne sait pas si Trump réalise qu’il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il se réjouit peut-être de voir l’Europe tourner en bourrique. La faillite est imminente ; les États-Unis doivent commencer à réduire leurs dépenses quelque part.

Il n’est pas surprenant que certains pays ne suivent pas la ligne US, dont l’UE est le fidèle perroquet. La Turquie, à cheval sur l’Europe et l’Asie, se rapproche de la Russie et de la Chine, et des bonnes choses promises par leur initiative Belt and Road.

Le Premier ministre hongrois Victor Orban et le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini, chef du parti de la Ligue qui y partage le pouvoir, cherchent à améliorer leurs relations avec la Russie, malgré la diabolisation de longue date de Vladimir Poutine par les Etats-Unis et l’Europe. Ces deux-là remettent également en question les idées reçues sur l’opportunité de l’ouverture des frontières et d’une immigration illimitée. Eux et d’autres dirigeants nationalistes trouvent un public de plus en plus réceptif parmi les électeurs européens.

Les deux Corée sont également en train d’écrire leur propre scénario, un scénario qui diffère de celui que les Etats-Unis ont écrit pour elles depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Parmi ceux qui sont en faveur du statu quo, la ligne de démarcation est que la Corée du Nord appauvrie, quoique dotée de l’arme nucléaire, constitue une menace offensive pour la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis. Kim Jong Un chante un chant séduisant de dénucléarisation, de rapprochement, de commerce et de paix, mais on ne peut lui faire confiance. Ce n’est que s’il accepte au préalable l’assujettissement complet de son pays que les négociations pourront se poursuivre.

Le président sud-coréen Moon Jae-in a d’autres idées. Le peuple des deux Corée veut la réconciliation et la fin de la guerre (il y a un armistice mais pas de paix officielle). Moon semble disposé à envisager la possibilité que Kim préfère faire entrer son pays dans le XXIe siècle plutôt que de lancer des frappes nucléaires. L’impulsion des négociations est venue de ces deux dirigeants et Trump a pris le train en marche, au grand désarroi d’un groupe hétéroclite de débauchés qui bénéficient des arrangements actuels. La paix peut venir malgré leurs efforts pour l’empêcher.

Alors que le gouvernement américain continue de dépenser de l’argent pour des armes, des bases et du personnel que notre prétendu ennemi peut annihiler, pour défendre des pays qui ne sont sous aucune menace et intervenir dans des conflits qui ne promettent que des impasses interminables et qui ont perdu sang et richesses, la question se pose : les dirigeants de l’Empire et ses satrapies sont-ils stupides, corrompus et rapaces, diaboliques ou tout cela à la fois ? A l’évidence : tout cela à la fois.

Ceux qui ont placé leur sécurité entre les mains des empereurs potentiels des États-Unis ne peuvent plus se permettre d’ignorer la nudité et la folie de ces empereurs. L’empire s’effiloche sur les bords et il ne faudra pas longtemps avant que l’ensemble ne se défasse complètement. Personne ne respecte un empereur nu, certainement pas celui qui ne réalise même pas qu’il est nu.

L'auteur, Robert Gore, est écrivain, investisseur, avocat et ancien trader

Traduction Avic – Réseau International


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