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Non, Israël n’est pas une démocratie

Auteur : Ilan Pappé | Editeur : Walt | Samedi, 07 Juill. 2018 - 22h09

Aux yeux de nombreux Israéliens et de leurs partisans dans le monde entier – même ceux qui pourraient critiquer certaines de ses politiques – Israël est, au bout du compte, un État démocratique bienveillant, cherchant la paix avec ses voisins et garantissant l’égalité à tous ses citoyens.

Ceux qui critiquent Israël supposent que si quelque chose tournait mal dans cette démocratie, c’était dû à la guerre de 1967. Dans cette optique, la guerre a corrompu une société honnête et travailleuse en offrant de l’argent facile dans les territoires occupés, en permettant aux groupes messianiques d’entrer dans la politique israélienne et surtout en transformant Israël en une entité occupante et oppressive dans les nouveaux territoires.

Le mythe selon lequel un Israël démocratique aurait connu des difficultés en 1967 mais serait toujours resté démocratique est même propagé par certains savants palestiniens et pro-palestiniens notables – mais il n’a aucun fondement historique.

Avant 1967 Israël n’était pas une démocratie

Avant 1967, Israël n’aurait certainement pas pu être dépeint comme une démocratie. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, l’État a soumis un cinquième de ses citoyens à un régime militaire fondé sur des règlements d’urgence britanniques draconiens et obligatoires qui privaient les Palestiniens de tous les droits humains ou civils fondamentaux.

Les gouverneurs militaires locaux étaient les dirigeants absolus de la vie de ces citoyens : ils pouvaient concevoir des lois spéciales pour eux, détruire leurs maisons et leurs moyens de subsistance, et les envoyer en prison quand ils le voulaient. Ce n’est qu’à la fin des années 1950 qu’une forte opposition juive à ces abus a émergé, ce qui a finalement allégé la pression sur les citoyens palestiniens.

Pour les Palestiniens qui vivaient dans l’Israël d’avant-guerre et ceux qui vivaient dans la Cisjordanie et la bande de Gaza après 1967, ce régime permettait même au plus simple soldat de diriger et de ruiner leur vie. Ils étaient sans défense si un tel soldat, ou son unité ou commandant, décidait de démolir leurs maisons, ou de les détenir pendant des heures à un point de contrôle, ou de les incarcérer sans procès. Il n’y avait rien qu’ils puissent faire contre.

À tout moment, de 1948 à aujourd’hui, il y a eu certains groupes de Palestiniens qui ont vécu une telle expérience.

Le premier groupe à souffrir sous un tel joug était la minorité palestinienne en Israël même. Cela a commencé dans les deux premières années d’existence de l’État durant lesquelles ils ont été poussés dans des ghettos, comme la communauté palestinienne de Haïfa vivant sur la montagne du Carmel, ou expulsés des villes qu’ils avaient habitées pendant des décennies, comme Safad. Dans le cas d’Isdud, toute la population a été expulsée vers la bande de Gaza.

À la campagne, la situation était encore pire. Les différents mouvements du Kibboutz convoitaient les villages palestiniens installés sur des terres fertiles. Parmi eux figurait le kibboutzim socialiste, Hashomer Ha-Zair, qui se serait soi-disant engagé dans la solidarité binationale.

Longtemps après la fin des combats de 1948, les villageois de Ghabsiyyeh, Iqrit, Birim, Qaidta, Zaytun et beaucoup d’autres ont quitté leurs maisons pour une période de deux semaines – après avoir été trompés par l’armée qui affirmait avoir besoin de leurs terres pour s’entraîner – seulement pour constater à leur retour que leurs villages avaient été anéantis ou remis à quelqu’un d’autre.

Cet état de terreur militaire est illustré par le massacre de Kafr Qasim en octobre 1956, lorsque, à la veille de l’opération du Sinaï, quarante-neuf citoyens palestiniens ont été tués par l’armée israélienne. Les autorités ont affirmé qu’ils étaient rentrés tard chez eux après avoir travaillé dans les champs alors qu’un couvre-feu avait été imposé au village. Mais ce n’était pas la vraie raison.

Des preuves ultérieures montrent qu’Israël avait sérieusement envisagé l’expulsion des Palestiniens de toute la zone appelée le Wadi Ara et le Triangle dans lequel le village se trouvait. Ces deux zones : la première une vallée reliant Afula à l’est et Hadera sur la côte méditerranéenne, la seconde étendant l’arrière-pays oriental de Jérusalem, ont été annexées par Israël en vertu de l’accord d’armistice de 1949 avec la Jordanie.

Comme nous l’avons vu, un territoire supplémentaire était toujours bien accueilli par Israël, mais une augmentation de la population palestinienne ne l’était pas. Ainsi, à tout moment, lorsque l’État d’Israël s’est développé, il a cherché des moyens pour restreindre la population palestinienne dans les zones récemment annexées.

L’opération « Hafarfert » (« taupe ») était le nom de code d’une série de propositions pour l’expulsion des Palestiniens lorsqu’une nouvelle guerre éclata avec le monde arabe. De nombreux chercheurs pensent aujourd’hui que le massacre de 1956 était un exercice pour voir si les gens dans la région pouvaient être intimidés pour partir.

Les auteurs du massacre ont été jugés grâce à la diligence et à la ténacité de deux membres de la Knesset : Tawaq Tubi du Parti communiste et Latif Dori du Parti sioniste de gauche Mapam. Cependant, les commandants responsables de la zone, et l’unité elle-même qui a commis le crime, s’en sont sortis sans beaucoup de dégâts, écopant seulement de petites amendes. C’était une preuve supplémentaire que l’impunité était garantie à l’armée pour les meurtres dans les territoires occupés.

La cruauté systématique ne s’affichait pas seulement lors d’un événement majeur comme un massacre. Les pires atrocités pouvaient également résider dans la présence quotidienne et banale du régime.

Les Palestiniens en Israël ne parlent toujours pas beaucoup de cette période d’avant 1967, et les documents de cette époque ne révèlent pas l’image complète. Étonnamment, c’est dans la poésie que nous trouvons une indication de ce que c’était que de vivre sous le régime militaire.

Natan Alterman était l’un des poètes les plus célèbres et les plus importants de sa génération. Il avait une chronique hebdomadaire, intitulée « La septième colonne », dans laquelle il commentait les événements qu’il avait lus ou entendus. Parfois, il omettait des détails sur la date ou même le lieu de l’événement, mais donnait au lecteur juste assez d’informations pour comprendre à quoi il faisait allusion. Il a souvent exprimé ses attaques sous forme poétique :

« La nouvelle est apparue brièvement pendant deux jours, et a disparu
Personne ne semble s’en soucier, et personne ne semble le savoir
Dans le village lointain d’Um al-Fahem, des enfants – devrais-je dire des citoyens de l’État – jouaient dans la boue
Et l’un d’eux a semblé suspect à l’un de nos braves soldats qui lui a crié :
Arrête !
Un ordre, est un ordre,mais le garçon stupide ne s’est pas arrêté,
Il s’est enfui.
Donc, notre brave soldat a tiré, pas étonnant
Il a touché et tué le garçon
Et personne n’en a parlé. »

Dans une autre occasion il a écrit un poème au sujet de deux citoyens palestiniens de Wadi Ara. Dans un autre cas, il a raconté l’histoire d’une Palestinienne très malade qui a été expulsée avec ses deux enfants, âgés de trois et six ans, sans explication, et envoyée de l’autre côté du Jourdain. Quand elle a essayé de revenir, elle et ses enfants ont été arrêtés et mis dans une prison de Nazareth.

Altman espérait que son poème sur la mère remuerait les cœurs et les esprits, ou du moins susciterait une réponse officielle. Mais il a écrit une semaine plus tard :

« Et cet auteur a supposé, à tort, que l’histoire serait niée ou expliquée
Mais rien, pas un mot. »

Il y a d’autres preuves qu’Israël n’était pas une démocratie avant 1967. L’État a poursuivi une politique de tirer pour tuer à l’encontre des réfugiés qui tentaient de récupérer leurs terres, leurs récoltes et leurs élevages. Il organisait une guerre coloniale pour renverser le régime de Nasser en Égypte. Ses forces de sécurité avaient également la gâchette facile, tuant plus de cinquante citoyens palestiniens pendant la période de 1948-1967.

L’assujettissement des minorités en Israël n’est pas démocratique

Le test décisif de toute démocratie est le niveau de tolérance qu’elle est prête à accorder aux minorités qui y vivent. À cet égard, Israël est loin d’être une véritable démocratie.

Par exemple, après les nouveaux acquis territoriaux, plusieurs lois ont été adoptées assurant une position supérieure à la majorité : les lois régissant la citoyenneté, les lois sur la propriété foncière, et le plus important, la loi du retour.

Cette dernière accorde la citoyenneté automatique à tous les juifs dans le monde, où qu’il soient nés. Cette loi est particulièrement antidémocratique car elle s’accompagne d’un rejet total du droit au retour des Palestiniens – reconnu internationalement par la Résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1948. Ce refus interdit aux citoyens palestiniens d’Israël de s’unir avec leurs familles proches, ou avec ceux qui ont été expulsés en 1948.

Refuser aux gens le droit de retourner dans leur patrie et, en même temps, offrir ce droit à d’autres qui n’ont aucun lien avec la terre, est un modèle de pratique antidémocratique.

Ajouté à cela il y avait une nouvelle strate au déni des droits du peuple palestinien. Presque chaque discrimination contre les citoyens palestiniens d’Israël est justifiée par le fait qu’ils ne servent pas dans l’armée. L’association entre les droits démocratiques et les devoirs militaires est mieux comprise si nous revenons sur les années formatrices au cours desquelles les décideurs israéliens ont essayé de réfléchir à la façon de traiter un cinquième de la population.

Leur hypothèse était que les citoyens palestiniens ne voulaient pas rejoindre l’armée de toute façon, et ce refus supposé, à son tour, a justifié la politique discriminatoire contre eux. Cet a priori  a été mis à l’épreuve en 1954 lorsque le ministère israélien de la Défense a décidé d’appeler ces citoyens palestiniens éligibles à la conscription pour servir dans l’armée.

À leur grande surprise, tous les convoqués se rendirent au bureau de recrutement, avec la bénédiction du Parti communiste, la force politique la plus nombreuse et la plus importante du pays à l’époque. Les services secrets ont expliqué plus tard que la raison principale était l’ennui des adolescents dans leur vie à la campagne et leur désir d’action et d’aventure.

Malgré cet épisode, le ministère de la Défense a continué à colporter un récit décrivant la communauté palestinienne comme rétive au service militaire.

Inévitablement, avec le temps, les Palestiniens se sont effectivement retournés contre l’armée israélienne, qui était devenue leur oppresseur perpétuel, mais l’exploitation par le gouvernement de ce prétexte de discrimination jette un grand doute sur les prétentions à être une démocratie.

Si vous êtes un citoyen palestinien et que vous n’avez pas servi dans l’armée, vos droits à l’aide gouvernementale en tant que travailleur, étudiant, parent, ou en tant que couple, sont sévèrement restreints. Cela affecte en particulier le logement, ainsi que l’emploi – où 70% de l’industrie israélienne est considérée comme sensible à la sécurité et donc fermée à ces citoyens en tant que lieu d’embauche.

L’hypothèse sous-jacente du ministère de la défense était non seulement que les Palestiniens ne veulent pas servir, mais qu’ils sont potentiellement un ennemi intérieur auquel on ne peut pas faire confiance. Le problème avec cet argument est que dans toutes les grandes guerres entre Israël et le monde arabe, la minorité palestinienne ne s’est pas comportée comme cela. Elle n’a pas formé une cinquième colonne et ne s’est pas dressée contre le régime.

Cela ne les a pourtant pas aidés : à ce jour, ils sont considérés comme un problème « démographique » qui doit être résolu. La seule consolation est que, de nos jours, la plupart des hommes politiques israéliens ne croient pas que la solution du « problème »passe par le transfert ou l’expulsion des Palestiniens – du moins pas en temps de paix.

La politique foncière israélienne n’est pas démocratique

La revendication du titre de démocratie est également discutable quand on examine la politique budgétaire entourant la question foncière. Depuis 1948, les conseils locaux et les municipalités palestiniennes ont reçu beaucoup moins de financement que leurs homologues juifs. La pénurie de terres et la rareté des possibilités d’emploi créent une réalité socioéconomique anormale.

Par exemple, la communauté palestinienne la plus prospère, le village de Meilya en Haute-Galilée, est encore moins bien lotie que la ville juive la plus pauvre du Néguev. En 2011, le Jerusalem Post rapportait que « le revenu juif moyen était de 40% à 60% supérieur au revenu moyen arabe entre les années 1997 et 2009. »

Aujourd’hui, plus de 90% des terres appartiennent au Fonds national juif (FNJ). Les propriétaires fonciers ne sont pas autorisés à effectuer des transactions avec des citoyens non juifs, et les terres publiques sont prioritaires pour l’utilisation de projets nationaux, ce qui signifie que de nouvelles colonies juives sont construites alors qu’il n’y a pratiquement pas de nouvelles colonies palestiniennes. Ainsi, la plus grande ville palestinienne, Nazareth, malgré le triplement de sa population depuis 1948, n’a pas augmenté d’un kilomètre carré, tandis que la ville de développement construite au-dessus, Haut-Nazareth, a triplé sur les terres expropriées des propriétaires palestiniens.

D’autres exemples de cette politique peuvent être constatés dans les villages palestiniens à travers la Galilée, révélant la même histoire : comment ils ont été réduits de 40%, parfois même 60%, depuis 1948, et comment de nouvelles colonies juives ont été construites sur des terres expropriées. Après 1967, le gouvernement israélien s’est inquiété de l’absence de Juifs vivant dans le nord et le sud de l’État et a donc prévu d’augmenter la population dans ces régions. Un tel changement démographique nécessitait la confiscation de terres palestiniennes pour la construction de colonies juives.

Le pire était l’exclusion des citoyens palestiniens de ces colonies. Cette violation brutale du droit du citoyen à vivre où il veut se poursuit aujourd’hui, et tous les efforts déployés par les ONG de défense des droits de l’homme en Israël pour contester cet apartheid se sont soldés par un échec total.

La Cour suprême israélienne n’a pu que remettre en question la légalité de cette politique dans quelques cas individuels, mais pas en principe. Imaginez si au Royaume-Uni ou aux États-Unis, les citoyens juifs, ou les catholiques d’ailleurs, étaient interdits, par la loi, de vivre dans certains villages, quartiers, ou même des villes entières ? Comment une telle situation peut-elle se concilier avec la notion de démocratie ?

L’occupation n’est pas démocratique

Ainsi, compte tenu de son attitude envers deux groupes palestiniens – les réfugiés et la communauté présente en Israël – l’État juif ne peut, malgré tous les efforts d’imagination, être considéré comme une démocratie.

Mais le défi le plus évident à cette hypothèse est l’attitude israélienne impitoyable envers un troisième groupe palestinien : ceux qui ont vécu sous sa domination directe et indirecte depuis 1967, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Depuis l’infrastructure juridique mise en place au début de la guerre, jusqu’au pouvoir absolu incontesté de l’armée en Cisjordanie et à l’extérieur de la bande de Gaza, en passant par l’humiliation de millions de Palestiniens dans la routine quotidienne, la « seule démocratie » du Moyen-Orient se comporte comme une dictature de la pire espèce.

La principale réponse israélienne, diplomatique et académique, à cette dernière accusation est que toutes ces mesures sont temporaires – elles changeront si les Palestiniens, où qu’ils soient, se comportent « mieux ». Mais si on fait des recherches dans les territoires occupés, sans même parler d’y habiter, on comprendra à quel point ces arguments sont ridicules.

Les décideurs politiques israéliens, comme nous l’avons vu, sont déterminés à maintenir l’occupation aussi longtemps que l’État juif existera. Cela fait partie de ce que le système politique israélien considère comme le statu quo, ce qui est toujours mieux que tout changement. Israël contrôlera la plus grande partie de la Palestine et, comme elle contiendra toujours une importante population palestinienne, cela ne peut se faire que par des moyens non démocratiques.

En outre, malgré toutes les preuves du contraire, l’État israélien affirme que l’occupation est éclairée. Le mythe, ici, veut qu’Israël est venu avec de bonnes intentions pour mener une occupation bienveillante mais a été forcé de prendre une attitude plus dure à cause de la violence palestinienne.

En 1967, le gouvernement a traité la Cisjordanie et la bande de Gaza comme une partie naturelle d’« Eretz Israël », la terre d’Israël, et cette attitude a continué depuis. Quand vous regardez le débat entre les partis de droite et de gauche en Israël sur cette question, leurs désaccords portent sur la façon d’atteindre cet objectif, pas sur sa validité.

Cependant, parmi le grand public, il y avait un véritable débat entre ce que l’on pourrait appeler les « rédempteurs » et les « gardiens ». Les « rédempteurs » croyaient qu’Israël avait récupéré l’ancien cœur de sa patrie et ne pourrait pas survivre à l’avenir sans lui. En revanche, les « gardiens » ont fait valoir que les territoires devraient être négociés en échange de la paix avec la Jordanie, dans le cas de la Cisjordanie, et avec l’Égypte dans le cas de la bande de Gaza. Cependant, ce débat public a eu peu d’impact sur la façon dont les principaux décideurs ont gouverné les territoires occupés.

Le pire de cette supposée « occupation éclairée » a été la méthode de gestion des territoires par le gouvernement. Au début, la zone était divisée en espaces « arabes » et potentiellement « juifs ». Les zones densément peuplées par les Palestiniens sont devenues autonomes, gérées par des collaborateurs locaux sous un régime militaire. Ce régime n’a été remplacé par une administration civile qu’en 1981.

Les autres zones, les espaces « juifs », ont été colonisées par des installations juives et des bases militaires. Cette politique visait à parquer la population, aussi bien de la Cisjordanie que de la bande de Gaza, dans des enclaves déconnectées sans espaces verts ni possibilité d’expansion urbaine.

Les choses n’ont fait qu’empirer, tout de suite après l’occupation, lorsque le mouvement politique juif Gush Emunim a commencé à s’installer en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, prétendant suivre la carte biblique de la colonisation plutôt que celle du gouvernement. Alors qu’il pénétrait dans les zones palestiniennes densément peuplées, l’espace laissé aux locaux se rétrécissait encore davantage.

Ce dont tout projet de colonisation a surtout besoin, c’est de la terre. Dans les territoires occupés, ce but a été atteint seulement par l’expropriation massive des habitants, expulsant les gens de lieux où ils vivaient depuis des générations, et les confinant dans des enclaves difficilement habitables.

Lorsque vous survolez la Cisjordanie, vous pouvez voir clairement les résultats cartographiques de cette politique : des ceintures de colonies qui divisent la terre et découpent les communautés palestiniennes en petites communautés isolées et déconnectées. Les ceintures de judaïsation séparent les villages entre-eux, les villages des villes, et parfois divisent un seul village.

C’est ce que les spécialistes appellent une géographie du désastre, notamment parce que ces politiques se sont avérées être une catastrophe écologique, asséchant les sources d’eau et ruinant certaines des plus belles régions de la campagne palestinienne.

De plus, les colonies sont devenues des foyers dans lesquels l’extrémisme juif s’est développé de façon incontrôlable – dont les principales victimes étaient les Palestiniens. Ainsi, la colonie d’Efrat a détruit le site du patrimoine mondial de la vallée de Wallajah près de Bethléem, et le village de Jafneh près de Ramallah, célèbre pour ses canaux d’eau douce, a perdu son identité en tant qu’attraction touristique. Ce ne sont que deux petits exemples sur des centaines de cas similaires.

Détruire les maisons des Palestiniens n’est pas démocratique

La démolition des maisons n’est pas un phénomène nouveau en Palestine. Comme beaucoup des méthodes de punition collective les plus barbares utilisées par Israël depuis 1948, elles ont d’abord été conçues et exercées par le gouvernement mandataire britannique pendant la grande révolte arabe de 1936-1939.

C’était le premier soulèvement palestinien contre la politique pro-sioniste du mandat britannique, et il a fallu trois ans à l’armée britannique pour le réprimer. Dans le processus, ils ont démoli environ deux mille maisons au cours de diverses punitions collectives infligées à la population locale.

Israël a démoli des maisons à partir du premier jour de son occupation militaire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. L’armée a fait sauter des centaines de maisons chaque année en réponse à divers actes commis par des membres individuels de la famille.

Lors de violations mineures du régime militaire, jusqu’à la participation à des actes violents contre l’occupation, les Israéliens ont rapidement envoyé leurs bulldozers pour éliminer non seulement des bâtiments physiques mais aussi des foyers de vie. Dans la région du Grand Jérusalem (comme à l’intérieur d’Israël), la démolition était aussi une punition pour l’extension non autorisée d’une maison existante ou le non-paiement des factures.

Une autre forme de punition collective qui est récemment revenue dans le répertoire israélien est celui du blocage des maisons. Imaginez que toutes les portes et fenêtres de votre maison soient bloquées par du ciment, du mortier et des pierres, de sorte que vous ne pouvez pas rentrer ni récupérer tout ce que vous n’avez pas réussi à sortir à temps. J’ai regardé attentivement dans mes livres d’histoire pour trouver un autre exemple de ce comportement, mais je n’ai trouvé aucune preuve d’une mesure si dure pratiquée ailleurs.

L’écrasement de la résistance palestinienne n’est pas démocratique

Finalement, sous « l’occupation éclairée », les colons ont été autorisés à former des bandes de vigiles pour harceler les gens et détruire leurs biens. Ces gangs ont changé leur approche au cours des années. Au cours des années 1980, ils ont utilisé la terreur réelle – blessant les dirigeants palestiniens (l’un d’eux a perdu l’usage de ses jambes dans une telle attaque), ou ??envisageant de faire exploser les mosquées de Haram al-Sharif à Jérusalem.

Au cours de ce siècle, ils se sont livrés au harcèlement quotidien des Palestiniens : déracinant leurs arbres, détruisant leurs récoltes et tirant au hasard sur leurs maisons et leurs véhicules. Depuis 2000, au moins une centaine d’attaques de ce type ont été signalées chaque mois dans certaines régions, telles qu’Hébron, où les cinq cents colons, avec la collaboration silencieuse de l’armée israélienne, ont harcelé les habitants vivant à proximité d’une manière encore plus brutale.

Dès le début de l’occupation, les Palestiniens ont eu deux options : accepter la réalité de l’incarcération permanente dans une méga-prison pendant très longtemps, ou affronter les risques face à l’armée la plus forte du Moyen-Orient. Lorsque les Palestiniens ont résisté – comme ils l’ont fait en 1987, 2000, 2006, 2012, 2014 et 2016 – ils ont été ciblés en tant que soldats et unités d’une armée conventionnelle. Ainsi, les villages et les villes ont été bombardés comme s’ils étaient des bases militaires et la population civile désarmée était ciblée comme une armée sur le champ de bataille.

Aujourd’hui, nous en savons trop sur la vie sous occupation, avant et après Oslo, pour prendre au sérieux les arguments prétendant que la non-résistance assurera moins d’oppression. Les arrestations sans procès, telles qu’elles ont été vécues par tant de personnes au cours des années ; la démolition de milliers de maisons ; le meurtre et la mutilation des innocents ; le drainage des puits – tout cela témoigne de l’un des régimes les plus sévères de notre époque.

Amnesty International documente chaque année de manière très complète la nature de l’occupation. Voici ce qui ressort de leur rapport de 2015 :

« En Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, les forces israéliennes ont commis des homicides illégaux de civils palestiniens, y compris des enfants, et détenu des milliers de Palestiniens qui protestaient ou s’opposaient à l’occupation militaire continue d’Israël. La torture et les mauvais traitements sont fréquents et impunis.

Les autorités ont continué de promouvoir les colonies illégales en Cisjordanie et ont sévèrement restreint la liberté de mouvement des Palestiniens, renforçant encore les restrictions imposées par l’escalade de la violence à partir d’octobre, impliquant des attaques contre des civils israéliens et apparemment des exécutions extrajudiciaires pratiquées par les forces israéliennes. Les colons israéliens en Cisjordanie ont attaqué les Palestiniens et leurs biens en toute impunité. La bande de Gaza est restée sous le blocus militaire israélien qui a imposé une punition collective à ses habitants. Les autorités ont continué à démolir des maisons palestiniennes en Cisjordanie et à l’intérieur d’Israël, en particulier dans les villages bédouins de la région du Néguev/Naqab, en expulsant de force leurs résidents. »

Prenons ceci par étape. Premièrement, les assassinats – ce que le rapport d’Amnesty appelle les « exécutions illégales » : environ quinze mille Palestiniens ont été tués « illégalement » par Israël depuis 1967. Parmi eux se trouvaient deux mille enfants.

L’emprisonnement des Palestiniens sans procès n’est pas démocratique

Une autre caractéristique de « l’occupation éclairée » est l’emprisonnement sans jugement. Un Palestinien sur cinq, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a vécu une telle expérience.

Il est intéressant de comparer cette pratique israélienne avec des politiques américaines similaires dans le passé et le présent. Le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) prétend que les pratiques américaines sont bien pires. En fait, le pire exemple américain fut l’emprisonnement sans jugement de cent mille citoyens japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, et trente mille plus tard détenus sous la soi-disant « guerre contre la terreur ».

Aucun de ces chiffres ne se rapproche du nombre de Palestiniens qui ont connu un tel processus, y compris les très jeunes, les vieux, ainsi que les incarcérés à long terme.

L’arrestation sans jugement est une expérience traumatisante. Ne pas connaître les accusations portées contre vous, n’avoir aucun contact avec un avocat et pratiquement aucun contact avec votre famille ne sont que quelques-unes des préoccupations qui vous affecteront en tant que prisonnier. Plus brutalement, nombre de ces arrestations servent de moyen de pression sur les gens pour qu’ils collaborent. Répandre des rumeurs ou humilier les gens pour leur orientation sexuelle présumée ou réelle sont aussi fréquemment utilisées comme méthodes pour forcer la collaboration.

Quant à la torture, le site web fiable Middle East Monitor a publié un article déchirant décrivant les deux cents méthodes utilisées par les Israéliens pour torturer les Palestiniens. La liste est basée sur un rapport de l’ONU et un rapport de l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem. Entre autres méthodes, elle comprend des passages à tabac, l’enchaînement de prisonniers à des portes ou des chaises pendant des heures, en leur versant de l’eau froide et chaude, en écartelant les doigts et en tordant les testicules.

Israël n’est pas une démocratie

Ce que nous devons contester ici, par conséquent, ce n’est pas seulement la prétention d’Israël à maintenir une occupation éclairée, mais aussi sa prétention à être une démocratie. Un tel comportement envers des millions de personnes sous son règne contrevient à de telles chicanes politiques.

Cependant, bien que de vastes parties de la société civile dans le monde nient à Israël sa prétention à la démocratie, leurs élites politiques, pour diverses raisons, la traitent toujours comme une membre du club exclusif des États démocratiques. À bien des égards, la popularité du mouvement BDS reflète les frustrations de ces sociétés avec les politiques de leur gouvernement à l’égard d’Israël.

Pour la plupart des Israéliens, ces contre-arguments sont au mieux inappropriés et au pire malveillants. L’État israélien s’accroche à l’idée qu’il est un occupant bienveillant. L’argument de « l’occupation éclairée » suggère que, selon le citoyen juif moyen en Israël, les Palestiniens sont bien mieux lotis sous l’occupation et qu’ils n’ont aucune raison d’y résister, encore moins de force. Si vous êtes un partisan non critique d’Israël à l’étranger, vous accepterez également ces hypothèses.

Il existe toutefois une partie de la société israélienne qui reconnait la validité de certaines des affirmations faites ici. Dans les années 1990, avec une certaine conviction, un nombre important d’universitaires, de journalistes et d’artistes juifs ont exprimé leurs doutes quant à la définition d’Israël comme démocratie.

Il faut du courage pour défier les mythes fondateurs de sa propre société et de son État. C’est pourquoi plusieurs d’entre eux abandonnèrent plus tard cette position courageuse et retournèrent à la ligne générale.

Néanmoins, pendant un certain temps durant la dernière décennie du siècle précédent, ils produisirent des œuvres qui remirent en question l’hypothèse d’un Israël démocratique. Ils ont dépeint Israël comme appartenant à une communauté différente, celle des nations non-démocratiques. L’un d’entre eux, le géographe Oren Yiftachel de l’Université Ben Gourion, a décrit Israël comme une ethnocratie, un régime qui régit un État ethnique mixte avec une préférence légale et formelle pour un groupe ethnique par rapport à tous les autres. D’autres sont allés plus loin, qualifiant Israël d’État d’apartheid ou d’État colonisateur.

Bref, quelle que soit la description de ces chercheurs critiques, la « démocratie » n’en faisait pas partie.

L'auteur, Ilan Pappé, est un historien israélien et un activiste socialiste. Il est professeur au Collège des sciences sociales et des études internationales de l’Université d’Exeter, directeur du Centre européen d’études palestiniennes de l’université et co-directeur du Centre d’études ethno-politiques d’Exeter. Plus récemment, il est l’auteur de Ten Myths About Israel.

Traduit par jj, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone

 


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