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Congo : schéma d’une colonisation permanente

Auteur : hm | Editeur : Walt | Lundi, 15 Janv. 2018 - 20h10

La République démocratique du Congo est le deuxième pays d’Afrique par la taille avec 2,3 millions de km2 ; et avec 80 millions d’habitants, c’est le quatrième par la population. En ce qui concerne ses immenses ressources minérales, estimées à environ 24 billions de dollars américains, le Congo est considéré comme l’un des pays les plus riches, sinon le plus riche du monde. Il possède 10% des gisements de cuivre du monde, 30% des diamants et 70% de tous les gisements de minerai de fer. Mais surtout on en extrait plus de 50% du cobalt requis dans le monde entier, le cobalt étant un minerai sans lequel, par exemple, seraient inconcevables l’industrie électronique et toute l’industrie de l’armement d’aujourd’hui, qui dépendent de cette dernière.

Malgré sa richesse en matières premières, ce pays est pourtant aujourd’hui un des pays les plus pauvres du monde en raison de l’exploitation, de la corruption et de guerres, qui durent depuis des décennies, et selon l’indice de développement des Nations Unies, il a même atteint en 2013 l’avant-dernière place.

La journaliste d’investigation Abby Martin a rencontré l’historien congolais Kambale Musavuli. Dans cette interview Musavuli met en lumière le passé et le présent du Congo, et il montre que le Congo a même le potentiel de nourrir toute une population mondiale de 9 milliards de personnes. La production d’électricité de son fleuve, le Congo, pourrait alimenter toute l’Afrique. Il souligne que la République démocratique du Congo est actuellement le plus grand fournisseur de cobalt du monde. Presque toutes les voitures, ordinateurs, téléphones portables ou autres appareils électroniques contiennent du cobalt du Congo. Mais malheureusement aussi tous les chars, avions, hélicoptères, fusées, navires de guerre, sous-marins, etc. Un document stratégique de l’administration américaine indiquait même très clairement qu’il serait impossible de faire la guerre sans le cobalt du Congo.

Mais c’est précisément ce qui, au milieu du siècle dernier, a placé le Congo dans la ligne de mire des intérêts de l’empire américain – ce qui recouvre non seulement le gouvernement américain et son appareil militaire, mais surtout les grandes entreprises américaines, y compris la haute finance. Auparavant, pendant près de 70 ans, le Congo a presque été épuisé sous la domination coloniale belge. La moitié de la population, soit environ 10 millions de Congolais, est morte pendant cette période coloniale belge à cause de la violence et de l’oppression, un crime, même un génocide qui, pour la plupart des gens, selon Musavuli, est resté occulté. Si le Congo a d’abord été exploité principalement à cause de son caoutchouc, il a ensuite été exploité pour son uranium de haute qualité. Sans cet uranium congolais, il n’y aurait pas eu de bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Et aujourd’hui c’est à cause de ses gisements de cobalt, comme cela a déjà été mentionné. Dans la seconde moitié du siècle dernier, le peuple congolais, après une lutte longue et tenace pour son indépendance a réussi à se libérer du joug colonialiste de la Belgique et à obtenir son indépendance. La force motrice la plus puissante de ce mouvement indépendantiste a été Patrice Lumumba, le premier Premier ministre démocratiquement élu.

L’un de ses principaux objectifs était que les ressources du Congo soient utilisées principalement au profit des Congolais. De lui naquit aussi le plan d’une Afrique complètement libérée et unie, les États-Unis d’Afrique. Le bonheur semblait enfin sourire au Congo ! Mais cela ne devait pas se produire – Lumumba a été renversé en 1960 lors d’un putsch initié par les services secrets américains, et assassiné peu de temps après. A sa place, Joseph Mobutu est arrivé au pouvoir, c’était un dictateur guidé par les États-Unis et soutenu par la CIA. Ce fut le début d’une nouvelle phase de domination coloniale, sous le joug américain, cette fois-ci sous une forme cachée, mais tout aussi amère pour les Congolais. Mobutu a accordé aux entreprises américaines un accès illimité aux ressources congolaises. Ainsi le pillage du pays s’est poursuivi sans interruption. Mais lorsque Mobutu n’a plus « fonctionné » comme le voulaient les cartels d’intérêts américains, lui aussi a été « mis de côté ». De nombreuses guerres civiles contrôlées de la même manière par les États-Unis ont suivi, au cours desquelles six autres millions de Congolais ont été tués. A ce jour, le Congo ne commence même pas à jouir de la liberté que son premier Premier ministre démocratique élu, Patrice Lumumba, avait conquise pour un court moment il y a 60 ans, grâce à son mouvement indépendantiste.

Conclusion

Ce colonialisme américain moderne est en train de se répandre dans le monde entier selon le même schéma : Un pays entre dans la ligne de mire de l’empire américain en raison de ses ressources, de sa situation stratégique ou simplement parce qu’il est déclaré concurrent désagréable. Il est ensuite déstabilisé par des attentats terroristes ciblés, pour la plupart dissimulés, ou par d’autres actions terroristes organisées par des services secrets. En outre, le pays cible est en proie à des troubles sanglants dans le but de renverser son gouvernement et de le remplacer par un gouvernement sous contrôle américain. Avant cela, ce gouvernement légitime est si massivement diabolisé par les médias grand public, non moins contrôlés par les États-Unis, que l’intervention militaire semble justifiée.

Jusqu’à présent, la couverture médiatique de ces violations massives des droits de l’homme par les médias n’a pas réussi à susciter une plus grande indignation du public, et les États-Unis peuvent poursuivre leur programme sans entrave. Par conséquent, diffusez cette émission encore plus largement afin que la violence et l’oppression qui ont lieu au Congo et dans d’autres pays ne restent pas « occultées » aux yeux de la majorité des gens !

Voyez maintenant l’interview de 20 minutes que la journaliste d’investigation Abby Martin a réalisé avec l’expert du Congo Kambale Musavuli.

The Empire Files : L’Empire au cœur de l’Afrique

Abby Martin s’entretient avec Kambale Musavuli

Il y a dix ans, l’Empire a porté ses regards sur une région rentable du monde : sur le continent qu’il avait autrefois pillé en tant que capitaine de la traite négrière. Un nouveau grand commandement militaire est né, AFRICOM. L’AFRICOM comprend 53 pays africains, y compris les îles et tous les océans. Il se compose de quatre composantes principales, toutes avec des noms intéressants : U.S. Army Africa, U.S. Naval Forces Africa, U.S. Airforces Africa, U.S. Marine Corps Africa.

Bien que la présence américaine sur le continent africain soit largement humanitaire, l’officier de l’Africom Rick Cook a admis que les États-Unis étaient en guerre en Afrique depuis des années. Avec une série de bases de drones, de camps et des installations où la tradition américaine continue de former des militaires mandataires responsables d’abominables violations des droits de l’homme et d’opérations secrètes. Loin d’une guerre sous le seuil de la violence, l’Africom effectue chaque jour plusieurs missions. Tous les empires voulaient posséder l’Afrique pour la même raison : Son immense trésor de minéraux et de matières premières. Une grande partie de ce trésor enfoui est concentrée dans le sud de l’Afrique en République démocratique du Congo. Celui-ci compte 80 millions d’habitants, 250 groupes ethniques et plus de 700 langues et dialectes différents. Avec ses minéraux non exploités il est considéré comme le pays le plus riche du monde, avec des réserves de 24 billions de dollars ; le Congo possède 10% du cuivre mondial, 30% des diamants et 70% du fer, et produit plus de 50% du cobalt mondial. Parmi les Congolais qui risquent littéralement leur vie dans les mines de cobalt, des dizaines de milliers sont encore des enfants. Ils travaillent 12 heures par jour pour un dollar. Les magnats miniers occidentaux paient les milices locales pour des fouilles illégales et gagnent des millions dans cette affaire criminelle, y compris Adastra Minerals et Bechtel Incorporated.

J’ai parlé à Kambale Musavuli, le porte-parole des Amis du Congo, du cours boursier des ressources du pays et de la façon dont les empires ont façonné la région.

Abby Martin : En 1982, le Congressional Budget Office a publié un rapport intitulé « Cobalt – Options politiques pour un minerai stratégique. » Il y souligne surtout qu’une carence en cobalt est apparemment une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Qu’est-ce que le cobalt et quelle est l’importance de ce rapport ?

Kambale Musavuli : Le Congo est le plus grand producteur de cobalt du monde. Même si nous ralentissons, nous sommes toujours le plus grand producteur mondial de cobalt. Il y a une forte probabilité pour que la batterie de ta voiture, ton téléphone, ton téléviseur, toute l’électronique que tu utilises contienne du cobalt du Congo. Mais personne ne le sait, le document dont tu parles est très spécial. En ce qui concerne la politique du cobalt, je vois deux aspects. Premièrement, la vulnérabilité. La raison pour laquelle ils ont introduit cette politique du cobalt était un manque de cobalt au Congo. Cela a été causé par une rébellion. A la fin des années 1970, une rébellion a perturbé l’exploitation minière du cobalt au Congo. Cela a bouleversé les Américains. Les Américains l’ont remarqué à travers une pénurie de téléviseurs couleur en 1980 et 1981, et les consommateurs ne savaient pas pourquoi ; cette pénurie de téléviseurs était directement liée au cobalt du Congo. D’accord, nous ne produisons pas de cobalt aux États-Unis, nous n’avons pas de réserves de cobalt connues, le pays dont nous recevons le cobalt, à l’époque le Zaïre, maintenant le Congo, a un président que nous avons installé. A quoi devrait donc ressembler notre politique congolaise ? Ce document était la justification pour soutenir Mobutu, sachant qu’il pillait les caisses de l’État. Il a tué des dissidents et ainsi de suite, mais parce qu’il était si important pour notre accès au cobalt, nous l’avons soutenu – pas seulement à cause de nos appareils électriques. Notre véritable vulnérabilité n’est pas l’électronique. S’il y a une carence en cobalt aux États-Unis, cela affecte l’armée américaine et c’est ce que dit très franchement le document. Sans le cobalt du Congo, nous avons des difficultés à faire la guerre.

Abby Martin : Pourquoi l’armée américaine a-t-elle besoin de cobalt ?

Kambale Musavuli : Sans le cobalt, pas de drone, pas d’avion. On ne peut pas démarrer une navette spatiale sans cobalt. C’est nécessaire aussi dans les réacteurs nucléaires. Il est utilisé dans la plupart des applications militaires et spatiales. S’il y a une carence en cobalt, on ne peut pas faire de guerre. C’est la plus grande vulnérabilité de la politique du cobalt. Si nous voulons la paix dans le monde, nous devons veiller à ce que le Congo soit contrôlé par les Congolais afin qu’ils puissent utiliser leurs ressources pour améliorer leur vie : eau potable, électricité, une vie meilleure dans leur propre pays. Au lieu de cela, les minerais vont dans les pays occidentaux où ils sont utilisés dans les armées qui sèment le chaos et produisent des dévastations dans le monde entier. A l’origine l’or, puis le caoutchouc, puis les esclaves et maintenant le cobalt – l’Afrique a souffert pendant plus de cinq siècles d’oppression et de vol par les empires européens. Tant et si bien que le monde capitaliste tout entier a pu se développer grâce à cette politique d’oppression destructrice. Le Congo, il a ce passé colonial typique. Le paysage varié, sur lequel vivent 450 groupes africains indépendants, était entouré de frontières dans les années 1880, en tant qu’exploitation privée d’investisseurs européens. Le projet colonial a été baptisé « l’État libre du Congo » lors de la Conférence de Berlin en 1884, une rencontre destinée à diviser l’Afrique entre les empires européens sans Africains.

Léopold II, roi belge assoiffé de sang, était le « pape » de l’État libre du Congo. Il a dirigé une armée qui a conquis la région, assassiné des dirigeants africains et brutalement réprimé le peuple. Le roi fou a parlé au monde de sa noble mission d’amener la civilisation au Congo nouvellement formé, tout en pillant chaque centimètre de celui-ci. Une partie de sa tactique consistait à couper les mains des travailleurs y compris des enfants travailleurs, à cause du crime de ne pas avoir atteint leur quota quotidien de caoutchouc. Léopold et ses commandants ont même encouragé les soldats à ramasser des mains coupées en signe de succès.

Le 26 février 1885, Sanford signe au nom des États-Unis le document déclarant qu’ils ont donné à Léopold II cet immense pays appelé Congo. Léopold contrôlait le pays – c’était un magnat de l’entreprise. Je peux le comparer à Donald Trump. Il dit : « J’ai besoin de biens immobiliers. J’ai un tout petit pays qui s’appelle la Belgique. J’ai besoin d’un pays avec tant de ressources » – et ils lui ont donné cette terre. Il a été président du conseil d’administration du Congo, le soi-disant Congo Free State, et avec le pays ils ont exploité le caoutchouc et l’ivoire. En ce temps-là, environ 10 millions de Congolais sont morts, c’était l’esclavage des temps modernes. Je ne sais pas si on devrait dire ça, parce que l’esclavage est de l’esclavage. Ils ont pris les Congolais et les ont entraînés dans les champs. Ils ont dû apporter du caoutchouc. Disons que je n’apporte pas le quota de 60 kg par jour. Alors je suis soit battu à mort, tué directement, soit on me coupe une main. En raison de cette brutalité, la population du Congo est tombée de 20 à 10 millions d’habitants durant cette période. Mais le monde n’en savait rien. Tout ce que nous savions, c’est que Ford avait construit ces superbes voitures avec de superbes pneus. Nous ne nous sommes jamais demandé d’où les hommes d’affaires américains tiraient le caoutchouc. Nous avons simplement dit : C’est le monde industrialisé. Nous avons tous ces matériaux – et nous ne demandons pas d’où ils viennent. Mais ça a touché directement une population, qui a été réduite de moitié en dix ans. Parce qu’il y avait des gens à l’époque qui ont élevé la voix, le Congo fut enlevé à Léopold. Mais il n’a pas été rendu aux Congolais, il a été donné à la Belgique. De 1908 à 1960, le Congo était sous domination belge. Si vous regardez les images d’archives du règne belge, vous pouvez voir des vidéos où des Belges blancs parlent devant les classes pour enseigner la civilisation aux Congolais. En Belgique, on montrait ces vidéos de propagande dans lesquelles ils disaient littéralement qu’ils apportaient la civilisation aux Congolais, comment manger, comment ouvrir des portes, comment utiliser une Ford, les gens vivent comme ça. Et quand les Belges l’ont vu, ils ont pensé : « On fait du bon boulot en Afrique. Nous enseignons aux gens la civilisation ».

Aucune question sur le fait que l’uranium utilisé à Hiroshima et Nagasaki venait du Congo. Les Belges l’ont pris au Congo et l’ont donné au projet Manhattan à New York. C’était de l’uranium du Congo. Il ne fait aucun doute que pour le plan Marshall pour reconstruire l’Europe, le cuivre du Congo était essentiel. Ils n’étaient pas traités comme des citoyens, ni même comme des êtres humains. Cela a conduit à ce que les populations se sont levées – non seulement au Congo, mais dans tout le continent pendant la période de colonisation. Car ils ont dit : « Attendez une minute, je suis humain ! Pourquoi ne me traitent-ils pas comme tel ? » Beaucoup d’Africains – surtout au Congo – beaucoup de jeunes se sont levés. Ainsi, Patrice Lumumba s’est levé.

Abby Martin : Le Premier ministre Lumumba a participé à la période de résistance sans fin au colonialisme. De 1940 jusqu’aux années 1980, les peuples d’Afrique colonisés ont formé des partis politiques dans toute l’Afrique. Ils se sont battus pour l’autodétermination et ont chassé les maîtres européens de l’Angola vers la Guinée et l’Afrique du Sud. Les mouvements indépendantistes ont partout inspiré les peuples opprimés. Le Congo ne fait pas exception. Che Guevara a même risqué sa vie sur le champ de bataille pour aider à libérer le Congo.

Après près d’un siècle de domination coloniale belge, le Congo a élu son premier président démocratique Patrice Lumumba en 1960. Parlez-nous de la lutte qui a rendu cela possible et de l’importance de cette victoire.

Kambale Musavuli : Patrice Lumumba est un accident impérial – c’est ainsi qu’ils le voient. Il appartenait à l’élite congolaise. Au Congo, selon les lois coloniales, il n’était pas possible d’aller à l’école au-delà de la 8e année ; après la 8e année il n’y avait plus d’éducation. Puis ils faisaient un test pour voir si vous étiez civilisé. Ils avaient donc des cartes qui disaient : civilisé, « civilisé » était écrit dessus. Avec cette carte, on vous permettait d’aller au centre-ville, de conduire une voiture ou d’aller au cinéma. Si vous veniez dans n’importe quel magasin occidental sans cette carte, vous étiez arrêté. Patrice Lumumba faisait partie de ceux qui avaient cet accès. Toutefois, il a fait quelque chose de très fondamental qui ne faisait pas partie des valeurs de la classe d’élite : Il a compris que nous ne contrôlions pas notre pays. Il a parlé au nom des villageois et fait connaître le problème de la souveraineté du pays. Il a compris combien il est important que l’Afrique s’unisse. Il connaissait la place du Congo dans l’unité de l’Afrique. Il a exigé son indépendance immédiate. Il n’y avait aucune raison qu’un Belge batte les Congolais au Congo et les traite de façon inhumaine. Nous sommes des adultes et nous pouvons contrôler notre propre pays !

En 1958 Lumumba, 34 ans, a pris la parole à la conférence internationale panafricaine de Kwame Nkrumah, Premier ministre du Ghana, récemment devenu indépendant. Là il a parlé de l’objectif de libérer le Congo du colonialisme. Lors du Congrès panafricain, Kwame Nkrumah a rédigé le plan pour les États-Unis d’Afrique. Devinez où était la capitale ? Kinshasa – alors appelée Léopoldville. Ils ont compris : Si le Congo était libre, l’Afrique serait libre. Ils voyaient le Congo avec ses ressources comme le cœur qui allait propager son énergie à travers le continent. Le fleuve Congo peut produire de l’électricité pour tout le continent – nous le savons. Cependant, il n’est pas utilisé. Avec ses terres arables, le Congo a le potentiel de nourrir le monde entier jusqu’en 2050, alors que la population mondiale sera de neuf milliards d’habitants. Or les Africains n’ont même pas accès à la nourriture. Lumumba avait pour mission de veiller à ce que les Congolais deviennent indépendants et utilisent toutes ces ressources à leur avantage – et bien sûr au profit de l’ensemble du continent africain. C’était un danger pour les puissances occidentales. Il leur a dit clairement que s’il était élu et s’il contrôlait le Congo, il veillerait à ce que les ressources du Congo profitent aux Congolais.

Abby Martin : Expliquez-nous comment Lumumba a été renversé dans un putsch soutenu par l’Occident en 1961 et remplacé par le dictateur militaire anticommuniste Mobutu Seko. Quelles puissances ont rendu cela possible ?

Kambale Musavuli : Les États-Unis. Après avoir remporté l’élection de mai 1960, Patrice Lumumba est démis de ses fonctions en quelques semaines et assassiné par la CIA le 17 janvier 1961. Selon les registres officiels, il a même été tué et enterré. Puis ils ont de nouveau déterré le corps parce qu’ils craignaient que sa tombe ne devienne un lieu de pèlerinage. Puis ils ont démembré le cadavre pour s’assurer qu’il ne restait rien de Patrice Lumumba.

Il était le dirigeant démocratiquement élu d’un pays – assassiné parce qu’il voulait que les ressources du pays profitent à la population. Après le meurtre de Lumumba, nous avons vu chez Mobutu ces « assesseurs du pouvoir ». Il était soutenu par la CIA. C’est ce beau genre de contradiction de la part des États-Unis. Vous faites ces choses dans l’ombre et après 50 ans, vous pouvez publier les documents officiels. Si nous lisons les archives des années 1960 – dont 40% sont maintenant accessibles – nous voyons combien d’argent a été dépensé pour soutenir un dictateur qui a étranglé le Congo pendant 32 ans, de 1965 à 1997 ; Mobutu a été soutenu par l’Occident, jusqu’à ce que les États-Unis décident qu’ils ne l’aimaient plus – il ne servait plus les intérêts de l’Occident – comme ils l’ont fait avec Saddam Hussein.

Et ils ont décidé de soutenir un putsch, un soulèvement militaire – non pas dirigé par les Congolais, mais par les alliés américains en Ouganda. Les États-Unis ont soutenu l’invasion du Congo en 1997 pour renverser le régime de Mobutu. Plus de six millions de Congolais ont été tués dans les actions militaires.

Abby Martin : Quelle a été la principale puissance derrière ce génocide durable et quel rôle le Rwanda a-t-il joué ?

Kambale Musavuli : Il faut faire le lien. Qui était le président des États-Unis à l’époque ? Bill Clinton était président lors de cette invasion. En collaboration avec le Conseil national de sécurité des États-Unis, Clinton a pris des décisions pour l’avenir de l’Afrique. Les décisions suivantes ont été prises : le génocide en 1994, la décision concernant la Somalie (La chute du Faucon Noir) et il a pris une décision au sujet du Congo. Les trois décisions ont toutes été un désastre. Je me souviens quand le Faucon Noir s’est écrasé. J’étais encore jeune et j’ai parlé à des gens qui ne comprenaient pas pourquoi les Somaliens tiraient sur les soldats américains. J’ai dit que vous étiez des envahisseurs, c’est pour ça qu’ils vous tirent dessus. Si vous n’étiez pas là ils ne vous tireraient pas dessus – c’est la réalité !

Et en ce qui concerne le Congo, Bill Clinton et son équipe – Susan Rice et d’autres – ont créé les principes d’Entebbe. Sur la base de ces principes, ils ont parlé des soi-disant « Dirigeants de la renaissance » en Afrique. Ils ont choisi des dirigeants africains et ont dit : « C’est le nouveau chemin ». Après la Guerre Froide et la chute du mur de Berlin, l’Afrique avait besoin d’un nouveau type de dirigeant. Mobutu était un agent de la Guerre Froide : il a été président de ce qui était alors le Zaïre et a accordé aux USA un accès illimité aux ressources du Congo actuel. Quand le mur est tombé, Mobutu n’était plus nécessaire : Remodelons la région ! Pour écarter Mobutu, les États-Unis ont décidé en 1997 d’aider leurs alliés au Rwanda et en Ouganda à envahir le Congo. Ils ont enlevé Mobutu et installé Laurent Kabila. Les intérêts commerciaux et politiques occidentaux avaient amené au pouvoir le chef rebelle Laurent Kabila, père de l’actuel dirigeant Joseph Kabila. Le président de l’American Mineral Fields a eu la gentillesse de financer ouvertement les forces rebelles qui combattaient Mobutu. En échange de leur investissement, Kabila senior leur a promis un contrat minier d’un milliard de dollars. Laurent Kabila est arrivé au pouvoir dans la guerre la plus meurtrière de l’histoire africaine moderne – avec des massacres et des atrocités généralisées dans neuf pays africains. Les Congolais ont surtout souffert des invasions par les armées du Rwanda et de l’Ouganda – deux dictatures brutales pro Kabila qui continuent de recevoir un soutien financier des États-Unis. La deuxième invasion du Congo fut si terrible que ma famille aussi a dû fuir. Ils sont partis en août 1998. Ce qui s’est passé ensuite, c’est une vraie cicatrice sur la conscience humaine. Des millions sont morts. Mais comment sont-ils morts ? Il y a des troupes étrangères dans le pays qui terrorisent la population, la tuent et l’enterrent vivante. En 2001, le fils de Laurent Kabila, Joseph, a pris le pouvoir après l’assassinat de son père. Lors d’une guerre civile sanglante, il a essayé de conserver ce pouvoir.

Abby Martin : Joseph Kabila est Président du Congo depuis 2006. L’élection présidentielle doit avoir lieu en novembre 2016. Tout ce qu’il a fait jusqu’à présent semble prouver qu’il a prolongé son mandat et ainsi violé la constitution. Qu’arrivera-t-il au Congo si c’est le cas ?

Kambale Musavuli : L’espoir, c’est la révolution. Mais nous devons aussi nous pencher sur l’histoire de sa présence au pouvoir. En 2001, son soi-disant père a été assassiné. Le Congo n’est pas une monarchie, mais il a hérité du pouvoir. La question se pose donc de savoir comment il est devenu président du Congo en 2001. Il a été installé, les pays occidentaux l’avaient reconnu comme Président du Congo. Il est resté au pouvoir jusqu’aux élections de 2006, donc il est au pouvoir depuis près de 15 ans. En 2006, cependant, on espérait que les Congolais prendraient une décision. Il y avait deux candidats principaux : Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba, inculpé devant la Cour pénale internationale, pour crimes contre la « République centrafricaine ». Mais à la fin des élections, Kabila a été déclaré vainqueur.

Il y a eu une émeute au Congo. C’est la première fois dans l’histoire que les diplomates occidentaux ont été bombardés dans leur bunker au Congo. Il a tué près d’une douzaine de diplomates parce qu’il craignait que l’Occident ne change d’avis. Mais bien sûr, il n’a pas été appelé à rendre des comptes pour cela. Toutes les nations occidentales misent sur Kabila. Pourquoi ? Parce qu’ils le voyaient comme le chef qui pouvait leur donner accès aux minéraux du Congo. Pendant qu’il était au pouvoir, on voit que de nombreux contrats miniers ont été signés, mais le peuple congolais n’a rien reçu du tout. L’International Crisis Group a noté que les pays occidentaux ont soutenu Kabila en 2007 parce qu’ils avaient le sentiment que « C’est notre homme, on peut le contrôler ». Selon la constitution, 2011 était la deuxième élection officielle. Cette élection aussi a été truquée. Dans certaines régions, Kabila a obtenu plus de 100% des voix. D’innombrables observateurs électoraux, dont le Centre Carter, ont qualifié les résultats d’illégitimes. Pendant les manifestations de masse, les États-Unis ont hésité trois mois avant de reconnaître officiellement Kabila comme président du Congo. La constitution n’autorise que deux mandats. Sa nouvelle tentative de retarder la prochaine élection par un recensement s’est heurtée à une vive résistance. Lorsqu’il a été élu au Parlement et au Sénat, les jeunes du Congo sont descendus dans la rue. Ils ont vu ce que les politiciens faisaient et sont sortis dans la rue. Ils ont paralysé une ville de 15 millions d’habitants. C’étaient des jeunes Congolais de 15 à 20 ans environ qui observaient la politique. Pendant deux semaines, il y a eu des manifestations pour dire non à l’amendement constitutionnel. Beaucoup ont été tués, officiellement, 42 personnes. Cependant, si nous examinons les faits sur le terrain on s’aperçoit qu’en mars 2015, des résidents et les Nations Unies ont trouvé à Kinshasa un charnier avec 425 corps. Pendant des décennies, les empires ont utilisé des tactiques aussi brutales. Avec d’autres signes viennent d’autres stratégies. Cela inclut également une fausse présentation de son propre rôle. De Cuba au Congo, les États-Unis et leurs sbires ont investi dans les mouvements de jeunesse, qui voulaient conquérir l’avenir de leur pays.

Abby Martin : Quel est le rôle des États-Unis et de leur initiative « Young African Leader » ?

Kambale Musavuli : Young African Leader a été fondé en 2010. C’était la réaction d’Obama aux dirigeants africains. En 2010, de nombreux pays africains ont célébré le 50e anniversaire de leur indépendance. Obama voulait donner l’image qu’il ne soutenait pas ces dirigeants, mais qu’il soutiendrait les jeunes. Donc, il voulait faire venir les jeunes dirigeants africains et de leur dire : C’est vous, les futurs dirigeants de votre pays. Le problème, c’est que cela crée malheureusement un groupe élitiste. On va faire venir des jeunes dirigeants africains. Ils établissent des contacts entre eux et les institutions américaines. On leur enseigne la politique américaine. J’ai rencontré un de ces jeunes en 2010. Il m’a montré des vidéos montrant comment ils passent toute la journée à étudier le fédéralisme. Je me suis demandé : Pourquoi dans les institutions de Capitol Hill à Washington ils vous enseignent le fédéralisme ? Pourquoi ils vous montrent comment fonctionne le système fédéral aux États-Unis ? Il est très problématique pour vous de faire réaliser ça à vos jeunes. Et puis vous présentez ce qui se passe vraiment, comme si le système fonctionnait pour nous. Les jeunes reviennent ensuite et disent : « J’ai rencontré des législateurs, des gens de Capitol Hill, et c’est comme ça que ça marche. Mais ils ne voient pas les problèmes internes du système politique américain. Je comprends ce qu’il y a de bien à renforcer les jeunes. Cependant si les États-Unis exploitent un réseau de 100 000 jeunes dirigeants africains, ça pose des problèmes. Si la Chine exploitait un réseau de 100 000 jeunes Américains, les Américains s’y opposeraient. Nous sommes inquiets qu’un pays fasse cela, et nous ne parlons pas d’une ONG, on parle du gouvernement américain.

La moitié de la population congolaise a moins de 18 ans et la majorité sont des femmes. Nous savons que tout changement qui se produira au Congo passera par les jeunes et les femmes. Si vous êtes le gouvernement américain et que vous voyez ce potentiel et que vous êtes intéressé par cet État – il pourrait y avoir de nouveaux dirigeants au Congo avec lesquels vous n’avez pas de relations et qui prennent ensuite des décisions en dehors de vos propres intérêts. C’est pourquoi ils veulent s’assurer qu’ils ont ces jeunes dirigeants dans la poche. C’est une répétition de l’histoire – parce que les États-Unis avaient déjà joué la même carte dans les années 1960.

Abby Martin : Quelle est la solution ? Comment pouvons-nous, de l’intérieur de l’Empire, construire la solidarité et aider les Congolais à prendre le contrôle de leurs ressources ?

Kambale Musavuli : Les Américains peuvent aider en ayant une démocratie véritable et authentique. Parce que l’Empire a tellement de tentacules. Nous pouvons réussir au Congo et changer le pays par une révolution. Cela ne veut pas dire pour autant que ce sera également le cas au Tchad. En Afghanistan et partout dans le monde où les gens veulent une vie meilleure et de meilleures opportunités. Tout commence ici.

Liens : 

https://deutsch.rt.com/afrika/42476-the-empire-files-imperium-im/

https://de.wikipedia.org/wiki/Demokratische_Republik_Kongo

https://www.youtube.com/watch?v=sRKxSbn30OM


- Source : Kla TV (Allemagne)

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