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L’entente Turquie-Iran-Qatar ridiculise l’OTAN arabe

Auteur : M.K. Bhadrakumar | Editeur : Walt | Mercredi, 29 Nov. 2017 - 20h37

La politique au Moyen-Orient vient d’assister à deux événements contrastés. À Riyad, lundi, il y a eu une réunion des ministres de la Défense de la Coalition Militaire Islamique Contre le Terrorisme (IMCTC : Islamic Military Counter Terrorism Coalition). La veille, à Téhéran, un accord « commercial » trilatéral a été signé par l’Iran, la Turquie et le Qatar.

Le spectacle de l’IMCTC a surpassé l’événement modeste de Téhéran en termes de pompe et de publicité médiatique. Pourtant, c’est ce dernier qui doit être surveillé de près.

La nouvelle alliance militaire a été qualifiée à la hâte d ‘«OTAN arabe», mais elle n’est ni arabe ni une alliance. Son armature d’acier est fournie par le Pakistan, mais les Pakistanais eux-mêmes sont racialement apparentés aux Indiens du Nord.

La véritable Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a vu le jour sur une plate-forme géopolitique et idéologique solide et a constitué l’avant-garde de la stratégie d’endiguement de l’Occident vis-à-vis de l’URSS. Mais la perception de la menace de l’IMCTC est liée à un phénomène protéiforme, non-étatique, qui mute à l’intérieur du monde musulman lui-même. L’Arabie Saoudite est réputée pour être l’incubateur principal des «terroristes islamiques» dans le passé, mais sa préoccupation actuelle est de ramener tout le monde au bercail.

Une économie en grande détresse, les réserves de change qui s’épuisent rapidement; une lutte acharnée pour la succession qui déchire la famille royale; des signes de ressentiment au sein d’un establishment religieux profondément conservateur qui conférait traditionnellement une légitimité aux dirigeants; des tensions sociales profondément enracinées engendrant des demandes de «réforme» et d’ouverture; des troubles dans les provinces orientales chiites riches en pétrole. Le sol saoudien est fertile pour les islamistes radicaux.

De même, il existe un environnement externe compliqué: l’autonomisation chiite en Irak; un bourbier au Yémen; une défaite en Syrie; la perte du Liban au profit du Hezbollah; une montée spectaculaire de l’Iran « post-sanctions »; la volatilité sur le marché pétrolier; et la réticence américaine à soutenir le régime saoudien dans tous les bouleversements intérieurs.

Le président turc Tayyip Erdogan et l’émir du Qatar Cheikh Tamim bin Hamad al-Thani assistent à une cérémonie de bienvenue à Doha, au Qatar, le 15 novembre 2017. Photo: Kayhan Ozer / Palais présidentiel / Reuters

L’Arabie Saoudite ne fait pas face à la menace d’une agression extérieure. Par conséquent, quelle est l’utilité de l’IMCTC si c’est pour repousser un ennemi qui se trouve à l’intérieur même de l’Arabie Saoudite ? Encore une fois, les pays de l’IMCTC iront-ils en guerre contre l’Iran pour rétablir la prééminence saoudienne dans le Moyen-Orient musulman ?

La plupart des pays de l’IMCTC – venus de pays lointains du Maghreb, d’Afrique ou d’Asie centrale – entretiennent des relations amicales avec l’Iran. (Même le Pakistan semble désireux de tourner une nouvelle page avec l’Iran.)

En termes simples, l’IMCTC est la dernière manifestation de l’approche saoudienne qui consiste à couvrir un problème avec de l’argent pour le chasser. Mais la crise est aujourd’hui existentielle, et l’IMCTC donne un faux sentiment de sécurité. La photo Com’ de lundi à Riyad rappelait les festivités du Shah d’Iran en 1971, qui célébraient la 2500ème année de la fondation de l’État impérial d’Iran à Persépolis, alors même que l’ennemi frappait aux portes.

En revanche, l’accord conclu entre l’Iran, la Turquie et le Qatar à Téhéran dimanche a été un événement discret, mais sa substance a un impact certain sur la sécurité régionale et internationale.

L’accord, signé par trois ministres du commerce obscurs qui ne font pas les manchettes dans les médias occidentaux, prévoit la création d’un « groupe de travail conjoint pour faciliter le transit des marchandises entre les trois pays » pour lutter contre « les obstacles à l’envoi de marchandises à partir de l’Iran et la Turquie vers le Qatar ».

Cela peut sembler un effort modeste pour rationaliser la logistique du flux commercial vers le Qatar, qui ne peut plus accéder à la route terrestre via l’Arabie Saoudite. Mais cet accord est hautement symbolique – marquant à la fois la défiance stratégique de Doha à l’égard du leadership régional saoudien, et le soutien ouvert d’Ankara et de Téhéran. L’alliance de Doha avec Téhéran était ostensiblement la première raison de la colère saoudienne, mais le Qatar et l’Iran affichent maintenant une véritable alliance. Cela sape la cohésion du Conseil de coopération du Golfe, puisque l’Iran entretient également des liens cordiaux avec Oman et le Koweït.

Sur un plan plus large, l’approfondissement de l’entente tripartite entre la Russie, la Turquie et l’Iran, dans le contexte de leur antipathie commune envers les États-Unis, fournit déjà un rempart à Téhéran contre l’isolement régional. Et les affinités entre l’Iran et le Qatar et la Turquie, deux pays musulmans sunnites, démystifie la campagne de Riyad pour donner une coloration sectaire à son désaccord avec Téhéran.

La proximité entre le Qatar et l’Iran a de profondes implications pour les marchés mondiaux de l’énergie. La Russie, l’Iran et le Qatar représentent environ 55% des réserves prouvées de gaz dans le monde. Les trois pays sont les principaux acteurs du Forum des pays exportateurs de gaz. En outre, l’Iran «partage» les gisements de gaz de South Pars (qui représentent 27% des réserves iraniennes) avec le Qatar, et la Russie renforce, bien entendu, sa présence dans le secteur énergétique iranien.

Le Qatar a dominé les marchés du GNL depuis les années 2000. Mais la Russie renforce sa production de GNL avec la mise en place de l’installation du champ de Yamal (qui devrait être pleinement opérationnelle d’ici 2020) et l’Iran envisage également l’avenir en tant qu’exportateur de GNL.

Le président américain Donald Trump est prêt à accroître la production de GNL aux États-Unis, mais, bien sûr, le marché mondial du GNL est surpeuplé. Une quasi-alliance entre la Russie, l’Iran et le Qatar peut donc sérieusement faire dérailler les meilleurs plans de Trump pour les exportations américaines de GNL.

Cela s’ajoute également aux angoisses des États-Unis concernant leurs troupes de plus de 6 500 personnes actuellement stationnées au Qatar qui abrite le quartier général régional du commandement central des États-Unis, à la base aérienne Al-Udeid. De même, les relations américano-turques connaissent des tempêtes. La Turquie a également une base militaire au Qatar.

Pendant ce temps, un nouveau port géant a ouvert ses portes au Qatar en septembre, qui devient une porte d’entrée pour l’Iran, juste de l’autre côté de la voie navigable, pour stimuler le commerce, alors que la Coupe du Monde de la FIFA 2022 au Qatar approche à grands pas. De plus, l’Iran offre son espace aérien pour rediriger les vols de Qatar Airways vers l’Europe et les Amériques.

L’Iran espère attirer les investissements qataris. On parle même d’inscrire un jour la dette du gouvernement iranien, comme les bons du Trésor, à la Bourse du Qatar. Au final, en termes géopolitiques, l’alliance naissante avec le Qatar fournit à l’Iran une grande profondeur stratégique.

L’Iran a l’habitude de déjouer le jeu des Saoudiens grâce à un mélange d’intelligence et de ruse, porté par la diplomatie, et cela semble se répéter. Fondamentalement, cependant, l’alliance Turquie-Iran-Qatar remet à plat l’équilibre des forces dans le Moyen-Orient musulman en contestant ouvertement le rôle de leadership de l’Arabie Saoudite.

Traduction : Avic – Réseau International


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