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Françafrique 2017: des képis et des milliards

Auteur : Richard Werly | Editeur : Walt | Samedi, 18 Nov. 2017 - 15h37

Hier, le pouvoir politique français régnait sur son pré carré africain à partir de l’Elysée et de ses antichambres. Aujourd’hui, militaires et clans capitalistes familiaux tiennent le haut du pavé. Le sommet de Dakar sur la sécurité vient d’en apporter la preuve.

La Françafrique est un sacré morceau d’histoire hexagonale. Quelle autre république peut se prévaloir d’avoir, pendant des décennies, tiré de façon si ostentatoire et souvent dramatique les fils de ses anciens colonisés sur le continent noir?

Refrain connu. En arrière-plan? L’incontestable legs culturel, politique, économique d’un siècle et demi de colonisation à la force des sabres, des goupillons, puis de la mise en coupe réglée de ces vastes territoires africains par la caste des administrateurs d’outre-mer, appuyés par des édiles locaux formés à la française. Sur le devant de la scène jusqu’au début des années 90? Le mythe des héritiers de la France libre et du gaullisme – la reconquête de la métropole ne démarra-t-elle pas, en 1941, à Brazzaville? – entretenu habilement par le tout-puissant Jacques Foccart, ses protégés politiques (l’incontournable président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, décédé en décembre 1993, puis le Gabonais Omar Bongo, décédé en 2009) et ses réseaux semi-mafieux. Résultat? Une longue appropriation par la métropole des ressources naturelles des Etats africains (minerais, uranium, pétrole) les plus dociles de sa zone d’influence, devenus indépendants mais contraints d’accorder les concessions les plus juteuses aux compagnies hexagonales.

Emergence de la Chinafrique?

Ce système, pensait-on, avait succombé au seuil du XXIe siècle sous les coups de la mondialisation et de l’arrivée de nouveaux «partenaires» économiques agressifs comme la Chine ou la Turquie, prêts à sortir le carnet de chèques dont la France ne dispose plus. Antoine Glaser, observateur toujours bien informé de ces réseaux «françafricains», avait même prédit, dans son essai passionnant sur l’Africafrance (Ed. Pluriel), un complet renversement des rôles après la fin de la Guerre froide. Aux dirigeants français le soin de préserver les apparences en continuant de convier sous les ors des palais républicains leurs soi-disant obligés africains. A ces derniers la réalité du pouvoir, grâce aux valises de cash toujours à portée de main. Archétype de ce nouveau modèle des années 2000: le président congolais Denis Sassou-Nguesso, maître dans l’art de distiller sa manne pétrolière.

Le sommet de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui vient de s’achever a toutefois démontré qu’en 2017, à l’aube de la Macronie triomphante, la réalité est plus complexe. Certes, aucun nouveau Foccart n’est apparu à l’horizon. Certes, l’Elysée n’est plus en mesure de dicter ses volontés à ceux que le général de Gaulle appelait tout simplement «nos rois nègres». Certes, la Chinafrique a émergé, avec sa myriade de contrats dans les infrastructures et ses communautés d’immigrants industrieux débarqués d’Asie.

Bolloré, Bouygues et consorts

Antoine Glaser, toujours lui, a donc raison de pointer du doigt le syndrome Arrogant comme un Français en Afrique (Ed. Fayard). Mais un coup d’œil dans la salle plénière du Centre international de conférences Abdou Diouf à Dakar démontrait ces jours-ci que la Françafrique a de beaux restes. Une kyrielle de généraux français, salués avec déférence par leurs homologues africains en mal d’interventions protectrices contre le péril djihadiste. Une escouade de dirigeants des groupes Bolloré, Bouygues ou autres, toujours incontournables dans les capitales francophones de la région. Des brigades d’anciens officiers reconvertis en entremetteurs avec leurs carnets d’adresses bien remplis. Telle est la nouvelle Françafrique: une conjugaison de képis et de milliards…

Le changement est en fait tectonique. Le curseur d’influence et de prise de décision s’est déplacé. Hier, au temps de Foccart, de ses barbouzes et de ses réseaux (souvent corses), le pouvoir politique élu rythmait le bal depuis Paris. La Françafrique était un axe vertical. Vingt-cinq ans après le décès de l’intéressé, les généraux et quelques dynasties familiales ont raflé la mise. Coté glaive, les 10 000 soldats français prépositionnés en Afrique – dont 4000 dans le Sahel pour l’opération «Barkhane» – demeurent la clé de voûte des pouvoirs locaux qui ne peuvent rien refuser à cet allié majeur. Coté portefeuille, Bolloré, Bouygues et consorts recrutent à tour de bras les anciens centurions pour protéger leur pré carré. Emmanuel Macron, nouveau venu sur la scène africaine, l’a d’ailleurs compris: son Conseil présidentiel pour l’Afrique, créé en juin, met en avant de jeunes entrepreneurs de la diaspora. Une façon de ne pas gêner les «éléphants» en uniforme. Mais aussi, peut-être, de desserrer l’étau militaro-capitaliste de cette Françafrique en apparence au garde-à-vous.

Pour plus d’informations sur le Forum de Dakar: www.dakarforum.org


- Source : Le Temps (Suisse)

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