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Russie: L’agression de T. Felguengauer et le syndrome du journalisme français

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Jeudi, 26 Oct. 2017 - 20h27

Pourquoi dès qu’un journaliste se fait agresser en Russie, de sous-entendus plus ou moins lourds en accusations à peine cachées, la presse française en arrive toujours à ce « régime de Poutine » qui ne tolèrerait aucune voix discordante. Il est vrai qu’ici comme sur d’autres thèmes, la diversité de la presse française est un délice, sans même soulever la question des publications d’usine non signées, qui remplissent les pages de ces informations prédigérées dont on nous abreuve.

Une journaliste de la Radio Les Echos de Moscou, radio très libérale et résolument dans l’opposition des années 90, s’est faite agressée. Le caractère « opposant » de la radio n’empêche pas son rédacteur en chef d’entretenir de bonnes relations avec le pouvoir – ici en grande discussion avec Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des affaires étrangères:

Tatiana Felguengauer était l’une des nombreuses journalistes de cette radio, ayant soutenu tous les mouvements de l’opposition radicale. Hier, Boris Grits, parfait inconnu, possédant la double nationalité russe et israélienne (où il vivait principalement) est entré dans la station de radio, a jeté du gaz contre le gardien (vidéo), s’est rapidement faufilé dans les couloirs, connaissant manifestement très bien les lieux, a trouvé le studio de la journaliste et l’a agressée au couteau, à la gorge, sans vouloir la tuer a-t-il ensuite déclaré. Il fut immédiatement interpelé par les forces de l’ordre, arrêté et déféré devant le juge.

Cet individu déclarait entretenir avec la journaliste un lien télépathique à l’occasion duquel elle le poursuivait. Il avait donc avant cela demandé son adresse personnelle à l’un de ses proches, affirmant vouloir simplement lui parler. Il a répété à l’audience devant le juge qu’il entretenait des liens télépathiques, ce qui n’a pas empêché selon les premières observations de le déclarer en pleine possession de ses moyens.

Aujourd’hui, l’agresseur est inculpé pour tentative de meurtre, se trouve en détention en attendant son jugement et T. Felguengauer est dans un état critique mais, heureusement, stable, sa vie n’est plus en danger.

Si cette affaire se passait dans tout autre pays que la Russie, l’on féliciterait une réaction rapide des forces de l’ordre et de la justice et ce serait clos. L’on parlerait ensuite du danger du métier de journaliste et de la surexposition de ces professionnels aux déséquilibrés divers et variés qui hantent nos cauchemars, de la montée en puissance de la violence gratuite, de la nécessaire balance entre la protection et la répression, etc etc etc. Mais l’on n’insisterait pas lourdement sur « le régime », sur l’ambiance « anxiogène » pour les journalistes. Il est vrai qu’ils ont tellement docilement couvert Macron lors des présidentielles, se sont tout aussi docilement jetés sur les os qui leur étaient lancés au moment voulu, qu’ils font signe maintenant de relever la tête plein de dignité lorsque cela leur est autorisé et que Jupiter leur a expliqué les limites de leur travail, limites bien intégrées. Rien à dire.

Or, il s’agit de la Russie, donc d’un pays dans lequel à priori un journaliste ne peut pas se faire agresser par un détraqué, et si détraqué il y a, il doit forcément être envoyé par le Kremlin … C’est évident. L’on retrouve donc ces articles tendancieux, suggestifs, jouant sur l’imaginaire bien entretenu par la presse d’une Russie totalitaire. Par exemple, le titre sur le site de France 24:

Ou encore le début de l’article non signé de l’Express qui pose l’ambiance cherchée:

Le pouvoir russe récuse toute responsabilisé dans l’agression de Tatiana Felguenhauer. La journaliste de la radio russe Écho de Moscou, poignardée lundi dans sa rédaction, a été victime d’un « fou » et non d’un climat hostile aux médias critiques du pouvoir en Russie, a estimé ce mardi le Kremlin.

et vers la dernière phrase de l’article lui aussi non signé de France 24 :

La station a néanmoins réussi à rester jusqu’à présent la principale radio russe à offrir des points de vue indépendants, dans un paysage médiatique verrouillé où les grandes chaînes de télévision sont sous contrôle.

Tout est dit, rien n’est dit.

Le rédacteur en chef des Echos de Moscou, Venedictov, bien que mangeant tranquillement à tous les râteliers depuis des années et financé par Gazprom Media (un holding pas vraiment dans l’opposition), dénonce, le ventre plein:

un « climat de haine » alimentant l’idée qu' »on peut tuer les sales types »

On sent qu’il a la peur au ventre, ça lui couperait presque la digestion faute de l’appétit. C’est caricatural, mais ça marche. Nous sommes en Russie, ne l’oubliez pas. Donc, les « spécialistes » en tous poils peuvent oublier les questions de fond. C’est la Russie. L’éthique journalistique, un détail. Nos chères organisations américaines défendant les droits de l’homme se mettent en branle et exigent, si si exige, qu’une enquête soit bien menée… Le coupable est déjà interpelé, mais peu importe. Il l’est trop vite, c’est louche. Du flagrant délit? Que nenni, un coup monté certainement. C’est la Russie, il faut donc exiger une enquête … indépendante. De qui? Passons.

La recette est éculée, manifestement rien de mieux n’a été trouvé. Mais tant que ça marche encore un peu, pourquoi s’en priver? Sont convaincus ceux qui veulent l’être, et ils sont nombreux pour différentes raisons (c’est pas leur problème, c’est plus confortable, naïveté, incompétence …).

Quant aux autres … et bien nous, les autres, nous continuons à écrire pour tenter de faire tomber les voiles déformant. Un par un. Chaque voile. Chaque fois. Chaque jour. En attendant que nos journalistes fassent leur travail.


- Source : Russie politics

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