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La Grande-Bretagne impliquée dans le trafic de pétrole de l’État Islamique

Auteur : Insurge Intelligence | Editeur : Walt | Vendredi, 18 Déc. 2015 - 14h38

Dans leur hâte d’accéder à la richesse que constituent le pétrole et le gaz du Kurdistan, les États-Unis et la Grande-Bretagne ferment les yeux sur la complicité avec la contrebande de pétrole de “l’État Islamique”.

Selon des sources politiques haut-placées de la région, des alliés clés dans la guerre dirigée par les États-Unis et la Grande-Bretagne contre l’État Islamique (EI) financent secrètement le mouvement terroriste. Des compagnies pétrolières américaines et britanniques sont lourdement investies dans le triangle géopolitique trouble qui soutient les ventes clandestines de pétrole de l’EI.

Le Gouvernement Régional Kurde (GRK) en Irak et le renseignement militaire turc ont tous deux apporté leur concours à la contrebande de pétrole de l’EI et ont même, selon des officiels kurdes, irakiens et turcs, fourni des armes au groupe terroriste.

Une compagnie pétrolière britannique en particulier, Genel Energy, a passé un contrat avec le GRK pour fournir du pétrole à une grande société kurde accusée de faciliter les ventes de pétrole par l’EI à la Turquie. Cette société kurde a des liens étroits avec le gouvernement kurde irakien.

Genel opère au GRK avec le soutien du gouvernement britannique, et est également lié à un groupe parlementaire britannique qui a des liens anciens avec les industries pétrolières britanniques et kurdes.

Les relations entre, d’une part, les sociétés pétrolières britanniques et kurdes et, d’autre part, des personnalités politiques britanniques importantes, soulèvent des questions sur les conflits d’intérêts — surtout dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme » qui est censée viser, et non financer, l’« État Islamique ».

Les Kurdes, les Turcs et les aveugles

L’une des principales sources de revenus de l’ÉI est la contrebande de pétrole. L’État Islamique contrôle approximativement 60% du pétrole syrien, ainsi que sept des plus grands sites de production de pétrole en Irak.

En se servant d’un réseau soigneusement entretenu d’agents et d’intermédiaires dans la région kurde de l’Irak aussi bien qu’en Turquie, l’EI a réussi à produire la quantité phénoménale de 45000 barils par jour de pétrole, leur permettant d’engranger 3 millions de dollars par jour en espèces en pratiquant des prix bien au-dessous du marché.

Mais l’ampleur du montant des transactions et l’impunité de ce réseau de contrebande ont amené des politiciens locaux à se demander si certains personnages officiels du GRK et de Turquie ne fermaient pas les yeux sur ces opérations.

Des personnalités irakiennes, kurdes et turques ont accusé aussi bien le GRK que l’État turc de délibérément autoriser un certain nombre de ces opérations de contrebande.

La tension monte entre le GRK et le gouvernement central à Bagdad au sujet du contrôle de la production et des revenus des champs pétroliers de la région kurde. Les dirigeants kurdes d’Irak voient dans le pétrole de leur région un moyen d’accroître leur autonomie, voire d’accéder à l’indépendance, tandis que le gouvernement irakien cherche à assurer son contrôle souverain sur toutes les ventes en provenance de ses champs pétroliers, incluant ceux du GRK.

Ces tensions ont atteint un sommet lorsque le GRK a commencé à vendre unilatéralement du pétrole et à l’exporter en Turquie en contournant Bagdad.

Complicité

Le GRK et les autorités turques démentent avec véhémence avoir quelque rôle que ce soit dans la facilitation des ventes de pétrole par l’EI. Les deux gouvernements ont pris des mesures pour réprimer ces opérations de contrebande, et tant les États-Unis que la Grande-Bretagne travaillent en liaison étroite avec la GRK pour établir les routes empruntées par la contrebande de l’EI.

Malgré l’arrestation d’intermédiaires kurdes impliqués dans le marché noir de l’EI, des preuves continuent d’affluer montrant que ces mesures sont complètement décousues et ne parviennent pas à enrayer la corruption à haut niveau.

Selon une source de haut niveau du parti islamique Dawa majoritaire au gouvernement irakien, les autorités irakiennes et américaines ont recueilli des renseignements importants prouvant que des membres du GRK ont fermé les yeux sur les ventes de pétrole au marché noir par l’EI.

La source, qui a un accès direct à des personnalités de haut niveau du gouvernement irakien, affirme que le GRK a tout d’abord vu l’invasion de l’Irak par l’EI comme une occasion de consolider le contrôle kurde sur le territoire contesté, surtout sur la région riche en pétrole de Kirkuk. Cependant, les Kurdes n’avaient pas prévu que la présence de l’EI deviendrait aussi puissante.

Au début de l’invasion, l’année dernière, il a dit :

« Des éléments du GRK et de la milice peshmerga ont directement facilité la contrebande secrète de pétrole à travers la région kurde. Les Américains le savaient, et ils ont partagé ces renseignements avec le gouvernement irakien à Bagdad ».

Cette question a engendré des tensions entre le GRK et Bagdad et facilité les efforts de Hussein al-Chahrestani, alors vice-premier ministre irakien de l’énergie, à réprimer les exportations de pétrole indépendantes des Kurdes.

Son successeur, le nouveau ministre du pétrole Adel Abdul-Mehdi, a été mis à ce poste à l’occasion d’un remaniement ministériel en septembre de l’année dernière sous la pression diplomatique américaine. Selon la source, contrairement à al-Chahrestani, Abdul-Mehdi a une approche beaucoup plus conciliante de la question du pétrole kurde, ce qui justement arrange les intérêts des investisseurs américains et britanniques dans le GRK. « Ceci signifie que Bagdad est devenu beaucoup plus coulant sur les preuves de la contrebande de pétrole par l’ÉI à travers le GRK ».

La source a confirmé que sous la pression croissante des États-Unis, « les autorités du GRK ont pris de sérieuses mesures pour freiner la contrebande illégale au profit de l’EI, mais que la contrebande continue, bien qu’à un niveau plus faible, avec le soutien de dirigeants du GRK qui tirent profit de ces ventes ».

Selon la source irakienne, la Turquie aussi joue un rôle crucial dans ces opérations de contrebande de l’EI. En tant que point d’arrivée d’une large quantité de ce pétrole parvenant au marché mondial, les autorités turques ont, dans la pratique quotidienne, fermé les yeux sur ce marché noir mené par l’EI. “Les Turcs ont des relations acrimonieuses avec les Américains,” affirme-t-il, tout en confirmant que les services de renseignement américains sont bien au courant du rôle de la Turquie :

« Les services de renseignement américains surveillent de près toutes ces opérations de contrebande. Quelques-uns de ces renseignements nous sont parvenus. Les Américains savent ce qui se passe. Mais Erdogan et Obama n’ont guère d’atomes crochus. En fait, Erdogan fait ce qu’il veut, et les Américains doivent faire avec ».

Ces allégations ont été confirmées par des turcs proches du gouvernement ou parlementaires. En particulier, une source ayant de nombreuses relations au sein du milieu politique turc, y compris l’entourage du Premier ministre, a affirmé que le soutien de la Turquie aux rebelles islamistes opposés au régime de Bachar el Assad en Syrie avait commencé longtemps avant l’émergence de l’EI, et qu’il était décisif dans l’ascension fulgurante du groupe.

La Turquie, qui est depuis longtemps membre de l’OTAN, fait partie de la coalition menée par les États-Unis pour combattre l’EI et a pris une part essentielle à l’entraînement des rebelles “modérés”, entraînement supervisé par les services de renseignement occidentaux.

La source a ajouté : « La Turquie joue un double jeu dans sa stratégie syrienne »

« Depuis le début, la Turquie a financé les groupes islamistes en Syrie, y compris l’EI, et elle continue à le faire. L’ampleur de la contrebande de l’EI à travers la frontière turco-syrienne est énorme, et en grande partie facilitée par la bénédiction d’Erdogan et de Davitoglu, qui voient dans les islamistes le moyen d’étendre la mainmise de la Turquie sur la région ».

Recep Tyyip Erdogan est président de la Turquie ; et Ahmet Davitoglu en est le Premier ministre. Interrogée sur la contradiction entre ces faits et les récentes opérations destinées à tenter d’arrêter cette contrebande en visant les bastions de l’EI de l’autre côté de la frontière, la source a dit que c’était trop peu, trop tard.

“Ces actions sont conformes à la stratégie d’expansion d’Erdogan, a-t-il dit, nous n’essayons pas de détruire l’infrastructure de l’EI, nous l’attaquons sélectivement.”

Un réseau d’ombre en pleine lumière

La route de la contrebande pétrolière l’EI — qui passe par le GRK et aboutit au port de Ceyhan en Turquie — a récemment été étudiée par deux universitaires de Greenwich.

Le document de George Kiourktsoglou, conférencier en sécurité maritime et ancien stratège de la Royal Dutch Shell, et du Dr Alec Coutroubis, directeur par intérim de la faculté de science et d’ingénierie, visait à identifier les schémas suspects de ce commerce illicite de pétrole.

Leur étude extraordinaire, publiée en mars par la Maritime Security Review, examine en détail la route utilisée par l’EI, fondée sur une « chaîne de plaques tournantes commerciales » qui passe par les localités de Sanliura, Urfa, Slirt, Batman, Osmanya, Gaziantep, Simak Adana, Kahramarmaras, Adyaman et Mardin. “La chaîne se termine dans la province d’Adana (sud-est de la Turquie), où se trouve le grand port pétrolier de Ceyhan.”

En comparant les pics des tarifs d’affrètement au départ de Ceyhan avec la chronologie des activités de l’ÉI, l’analyse de l’université de Greenwich a identifié une corrélation significative entre les deux. Chaque fois que l’EI combat “à proximité d’une zone comportant des équipements pétroliers, les exportations par Ceyhan augmentent rapidement. Ceci peut être attribué à une augmentation due à la contrebande de pétrole en vue de générer rapidement des recettes supplémentaires.”

Bien que les preuves ne soient pas déterminantes à ce stade, les auteurs ont écrit : “Il y a de fortes probabilités qu’une chaîne d’approvisionnement illicite exporte du pétrole de l’EI à partir de Ceyhan” vers le marché global. “Depuis le lancement de l’aventure pétrolière de l’EI en septembre 2014, les taux d’affrètement à partir de Ceyhan se sont beaucoup rapprochés de ceux du reste du Moyen-Orient”.

Bien qu’ils ne puissent être catégoriques, une recherche approfondie incluant des interviews de sources bien informées tend à démontrer que “ceci est le résultat d’une demande accrue de brut de contrebande à très bon marché, disponible au chargement” à partir du port turc.

Kiourktsoglu et Coutroubis appellent à une “recherche complémentaire” sur les entreprises criminelles de l’EI qui “puisse potentiellement définir sa place dans l’économie globale.” Les universitaires ont auparavant exposé ces éléments devant une délégation de parlementaires de la commission des Affaires étrangères sur la sécurité maritime au large de la Somalie.

Leur étude met en évidence les failles de l’approche militaire des États-Unis concernant les opérations pétrolières de l’EI. Bien qu’ils saluent la manière dont les États-Unis., la Turquie et les raids aériens des pays du Golfe ont “réduit les recettes pétrolières” de l’EI en détruisant plusieurs « installations industrielles », cela n’a pas été assez loin. Ils rapportent que :

« … dans la zone bombardée, les puits n’ont pas encore été ciblés par les É-U ou par l’aviation des alliés, un fait qui peut certainement être attribué à la politique “toxique” de l’époque au Moyen-Orient ».

En dépit des grands convois transportant le pétrole de l’EI à travers les zones de Syrie, de l’Irak et de Turquie contrôlées par les gouvernements, « les raids des alliés des États-Unis ne ciblent pas les camions et les citernes de crainte de provoquer une réaction violente de la part des populations locales. » En fin de compte, « les opérations de transport sont faites avec efficacité et ont lieu la plupart du temps en plein jour ».

Le dossier public

Le dossier public contient des preuves qui corroborent les affirmations des sources irakiennes et turques en démontrant une corruption endémique en amont comme en aval de la route de contrebande de l’EI.

Des observateurs bien informés à l’intérieur et en dehors de la Turquie ont accusé le gouvernement turc de fermer les yeux sur la contrebande de pétrole à travers la frontière syro-turque dans sa détermination à faire tomber le régime d’Assad.

Des dépositions de procureurs et de témoins, dans les tribunaux turcs, ont révélé qu’à la fin 2013 et en 2014, le renseignement militaire turc avait fourni des armes à l’intérieur de zones syriennes sous contrôle rebelle islamiste, contribuant ainsi directement à la montée de l’EI.

Le député d’opposition turc Ali Ediboglu a déclaré l’an dernier que du pétrole de l’EI avait été introduit en contrebande en Turquie, pour une valeur de 800 millions de dollars. Il a également dit que plus d’un millier de ressortissants turcs aidaient les combattants étrangers à rejoindre l’EI en Syrie et en Irak en passant par le territoire turc. Ces deux phénomènes, a-t-il affirmé, se déroulent au vu et au su du renseignement militaire turc, et avec sa participation.

En juillet 2014, des responsables irakiens ont révélé que, lorsque l’EI avait commencé à vendre du pétrole extrait de la province septentrionale de Salahouddine, « les peshmergas kurdes en ont arrêté la vente au début, mais ont plus tard permis aux pétroliers de transférer et de vendre du pétrole ».

Trois mois plus tard, un document du ministère de l’Intérieur du GRK divulgué par le média kurde Rudaw a montré qu’un ancien député de l’opposition, Bourhane Rachid, avait accusé les institutions du GRK de faciliter le flux des fonds et des armes aux militants de l’EI en Irak.

« Un parti politique kurde à Erbil a fourni armes et munitions aux militants de l’EI en échange de pétrole, » a affirmé Rachid. Le document a révélé que le procureur en chef du GRK avait secrètement préparé un procès contre Rachid à la suite des accusations qu’il avait formulées.

Le procès, qui n’a apparemment pas abouti, était une tentative évidente de réduire les critiques au silence. En janvier cependant, une commission d’enquête dirigée par les ministres du GRK de l’Intérieur et des Ressources naturelles avait largement confirmé les affirmations de Rachid.

Des milieux parlementaires kurdes ayant pris connaissance du rapport final du comité, resté secret à ce jour, ont confié à Rudaw que le rapport confirmait :

« … un certain nombre de fonctionnaires du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et des peshmergas ont été impliqués dans le commerce illégal ».

Six mois plus tard, les identités des fonctionnaires visés par l’enquête ne sont toujours pas divulguées et personne n’a été inculpé, jugé ou condamné. Le bureau du GRK au Royaume-Uni n’a pas souhaité répondre à notre demande de commentaire.

Le Groupe Nokan

Cependant, quelques mois après les conclusions du comité, des preuves ont émergé de l’implication du Groupe Nokan, une importante société kurde en lien étroit avec le GRK, dans les ventes de pétrole de l’EI.

Dans une lettre au Groupe Nokan, Mark D. Wallace — ancien ambassadeur américain aux Nations Unies sous la présidence de George W. Bush et chef de la direction du Counter Extremism Project, une ONG basée à New York — a jugé fiables « des rapports selon lesquels certaines formations kurdes facilitent le commerce de pétrole de l’EI… »

« Plus précisément, certaines sociétés kurdes seraient engagées pour transporter du carburant raffiné à partir de la raffinerie de Baïji contrôlée par l’EI, au nord de Tikrit, en Irak, en vue de sa livraison à travers la région kurde par les autorités de la province de Soulaymaniyah, au Kurdistan irakien, au nord-est de l’Irak ».

Meer Soma, une « filiale » du Groupe Nokan, possède ou exploite des camions qui « sont utilisés pour transporter des produits pétroliers traités à partir des raffineries contrôlées par l’ÉI jusqu’à des organismes kurdes à l’intérieur ou aux environs de Kirkouk, » a écrit l’ambassadeur Wallace dans la lettre datée du 20 mars 2015.

Wallace a observé que, selon la presse kurde, Meer Soma figure parmi plusieurs sociétés-écran contrôlées par Nokan et opérant pour le compte du groupe dans le but d’éviter toute association publique avec la société mère...

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Nafeez Ahmed

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr


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