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Gazprom perce la bulle spéculative du gaz de schiste états-unien

Auteur : La Jornada via Réseau Voltaire | Editeur : Stanislas | Lundi, 22 Avr. 2013 - 18h59

La polémique sur le gaz de schiste ne cesse de se développer. Officiellement aux États-Unis, ce type de combustible est en voie d’assurer l’indépendance énergétique du pays. Par contre, en Russie, il ne s’agirait que d’une vieille technique remise au goût du jour. Elle permettrait de réaliser quelques belles opérations avant de sombrer. Alfredo Jalife observe les similitudes entre ce débat et celui qui l’a précédé sur le pic pétrolier.

Comme dans les années 1990 où la polémique faisait rage parmi géologues et banquiers au sujet du pic pétrolier imminent (naturellement ce sont les géologues qui avaient raison), on retrouve les mêmes acteurs divisés quant au gaz de schiste ; une majorité écrasante, celle qui contrôle les multimédias occidentaux sous la férule néolibérale financière, exalte la révolution technologique du fracking, qui, nous dit-on, donnera aux États-Unis une indépendance énergétique merveilleuse, et leur permettra d’enterrer l’OPEP et la Russie ; en face, on trouve une infime minorité qui dévoile la bulle boursière enflée par Wall Street.

Au sujet de la géopolitique révolutionnaire du gaz de schiste, selon le BND (les services secrets allemands), je remarquais récemment qu’il n’y a pas de riposte scientifique, ni géopolitique, de la part des Russes, aux monologues anglo-saxons quelque peu délirants, d’où la dialectique hégélienne brille par son absence.

Mais il semblerait que les Russes aient entendu notre suggestion d’une antithèse contrastante, moins de deux mois plus tard, si l’on s’en tient à l’entretien avec Alexeï Miller, qui a été diffusé par la chaîne étatique Rossiya 24TV. Le patron de Gazprom considère que l’extraction du gaz de schiste aux États-Unis est non seulement infructueuse, mais ne fait nullement concurrence au secteur énergétique russe [1].

Gazprom n’est pas moins critique : propriété de l’État à 50,01 % et, malgré son effondrement brutal en bourse (une chute de 30 %), société qui présente les bénéfices les plus élevés au monde (44 460 millions de dollars), et se situant parmi les 500 premières transnationales selon Fortune/CNN.

Froidement, Alexeï Miller dévoile donc que l’industrie du gaz de schiste aux États-Unis n’est qu’une bulle, ce qui n’a rien d’étonnant si l’on se souvient que le couple Wall Street-City s’est livré aux manipulations boursières autour de multiples bulles selon le modèle prôné par la dérégulation globaliste et financière à outrance.

Alexeï Miller souligne de façon inquiétante que jusqu’à présent on ne connaît pas de projet débouchant sur une production de gaz de schiste rentable, et il insiste sur le déficit en gaz des États-Unis (depuis le gaz naturel, en passant par le gaz liquide LNG, et jusqu’au gaz de schiste inclus), tandis que l’augmentation du volume de la production du gaz de schiste compense à peine le déclin de l’extraction de gaz naturelle sur le territoire états-unien.

Le fait le plus remarquable, c’est que Gazprom ne voit nulle menace pour la Russie dans la production de gaz de schiste états-unien, et que l’augmentation de la production de gaz de schiste ne reflète guère plus que le souhait US d’accéder à une sécurité énergétique.

Pour La Voix de la Russie on peut en déduire que les considérations financières et économiques du gouvernement sont secondaires, aux États-Unis, par rapport à l’objectif d’avoir une source d’énergie fiable sur son propre territoire.

À mon avis, on peut aussi en déduire que la sécurité énergétique des États-Unis est liée à ses deux associés dans l’Aléna : le Canada et le Mexique, qui sont les véritables puissances géoénergétiques, comme on peut le déduire du document infâme intitulé Nouveaux horizons dans les relations US-Mexique [2] ainsi que de la réunion secrète tenue par le Partenariat pour la sécurité et la prospérité et l’Accord de libre-échange nord-américain à l’hôtel Banff Spring au Canada (du 12 au 14 septembre 2006) [3].

La Voix de la Russie expose que l’extraction du gaz de schiste peut aider les États-Unis à se débarrasser de la dépendance pour son approvisionnement en énergie au Proche-Orient, mais ne saurait aider les transnationales à concurrencer Gazprom sur le marché européen.

Il est intéressant de voir comment se dessine une régionalisation énergétique à l’échelle des cinq continents. Les palefreniers parlent maintenant de « sécurité énergétique » pour l’Amérique du Nord, ce qui recouvre en fait le détournement par le Partenariat pour la sécurité et la prospérité des ressources énergétiques de ses deux voisins et associés : le Canada et le Mexique.

La radio officielle russe cite de nombreux experts convaincus que le marché de la révolution du gaz de schiste n’est qu’une bulle créée à Wall Street pour tromper les investisseurs naïfs.

Car dans le fond, toutes les bulles boursières, depuis celle de l’immobilier jusqu’à celle du gaz, ne sont-elles pas des leurres délibérément mis en place pour attirer les néophytes masochistes et naïfs dans la nasse de la dérégulation financière ?

Le gouverneur de la Banque fédérale, quel qu’il soit, agit en nouveau Hamelin, et sa flûte amplifiée par les médias transnationaux, comptables et hyperboliques à souhait, est là pour désinformer, aux quatre coins de la planète.

Tout comme le site Dedefensa.org, organe de réflexion européen qui a son siège à Bruxelles, Alexeï Miller écrit : « Nous sommes sceptiques au sujet du gaz de schiste, cette bulle de savon va bientôt éclater. » Dedefensa.org estime le délai à deux ans.

L’oligarque russo-azéri Vagit Alekperov, président de Lukoil, considère quant à lui que la production de gaz et de pétrole à partir du schiste est une prouesse des ingénieurs états-uniens, mais le fracking et le forage de puits profonds ne constituent pas pour autant une révolution.

Comme par hasard, Lukoil, le deuxième consortium pétrolier russe, est toujours propriété en majorité des oligarques russes, tandis que, fait insolite, la société privée Conoco Phillips, états-unienne et quatrième sur l’échelle de Fortune/CNN, en est actionnaire à 20 %, en échange de stations service russes privées sur le sol états-unien.

On remarquera la promiscuité qui règne dans les rapports hybrides entre les compagnies pétrolières russes et états-uniennes, étatiques et privées.

Voilà pourquoi Vagit Alekperov passe sous silence les dégâts environnementaux du fracking que signale la revue Geology, à la suite de Scientific American, tels que la provocation de tremblements de terre, outre la pollution des nappes phréatiques et de la nature (voir le documentaire Gasland). Après avoir brocardé la révolution équivalente du gaz de schiste en Grande-Bretagne, La Voix de la Russie ajoute que malgré tous les succès de la chose aux États-Unis, l’avenir du marché énergétique européen dépend toujours des producteurs de gaz conventionnel, entre autres Gazprom. Et l’on pourrait souligner les fortes réticences européennes à l’égard du fracking.

Mais rien, ni personne, ne saurait arrêter la fièvre technologique qui s’est emparée des cercles stratégiques aux États-Unis, qui, comme Robert Bryce de l’Institut Manhattan [4], assurent que l’innovation garantit un avenir brillant en matière de production d’énergie, à la fois pour le pétrole (au fond des océans, à l’aide de robots et de sous-marins), et pour le gaz (liquide, naturel et de schiste) qui débouchera sur un approvisionnement abondant, bon marché et fiable.

Entre l’Institut Manhattan et Gazprom, l’un des deux, forcément, se trompe.


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