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Auteur : Quartiers libres | Editeur : Walt | Vendredi, 01 Mai 2015 - 14h30

Il est, actuellement, de bon ton chez certains blogueurs ou militants du monde virtuel d'affubler leurs adversaires ou ennemis politiques de divers qualificatifs diffamatoires et stigmatisants. Parmi ceux-là, les termes « confusionniste », « rouge-brun », « conspirationniste » ou « antisémite » ont le vent en poupe. Ces étiquettes sont autant de termes destinés à salir et à discréditer ceux que l'on vise, tout en faisant l'économie d'une critique politique construite.

Quitter le champ politique pour les rivages de la réprobation morale permet de se poser, à peu de frais, en gardien d’une orthodoxie imaginaire, de cacher ses propres faiblesses d’analyse et ses incohérences.

Si le fait d’essayer de poser des lignes de partage idéologique nettes entre son combat et celui de ses ennemis est une intention louable et une nécessité politique, il faut reconnaitre que, derrière cette volonté se cache bien souvent des desseins moins honorables. Cela permet d’exister dans un petit monde politique marginal en distribuant les bons et les mauvais points. Il s’agit alors d’une posture morale davantage que politique.

L’antiracisme et l’antifascisme moral des années 80 et 90 n’ont jamais stoppé le Front national, et l’emploi de l’étiquette de « facho » pour désigner tout et n’importe qui a été contre-productif.

Reprenons une à une les catégories de ces chasseurs.

Depuis le 11/9, le qualificatif « conspirationniste » est employé à tort et à travers. Cette étiquette infamante couvre d’opprobre les auteurs de textes présentant des doutes et des critiques légitimes autant que les faiseurs de récits délirants fondés sur une idéologie plus que douteuse. Depuis le début des années 2010, certains militants « antifascistes de sensibilité libertaire » se sont autoproclamés experts en conspirationnisme « de gauche ».

Animés par une logique relevant du soupçon policier, ils considèrent que tout relais de texte ou d’information depuis une source « suspecte » implique obligatoirement une adhésion idéologique totale, même lorsque cela est fait en toute ingénuité. Ainsi, l’utilisation d’un texte venant d’un site conspirationniste, fait forcément de vous un conspirationniste, quand bien même le texte seul ne permettrait aucunement de le laisser croire, et malheur à vous si une de vos productions est reprise par ce genre de sites : cela est la preuve irréfutable de vos accointances avec la « bête immonde ».

Il n’est pas question de nier l’existence de thèses conspirationnistes et de leur impact politique auprès des classes populaires et au-delà, mais de mettre en garde contre une propension à l’accusation généralisée contre toute forme de discours critique.

Cette chasse aux sorcières conspirationnistes aboutit à la disqualification de toute remise en cause des discours officiels et institutionnels, ne faisant que délégitimer les critiques contre certains états et organismes financiers. Les doutes ou le scepticisme deviennent suspects contribuant ainsi à faire croire que nous vivons dans un monde libre de toute désinformation, manipulation ou collusion d’intérêts. Cette critique généralisée du « conspirationnisme » ne repose sur aucune analyse politique et provient souvent d’une méconnaissance totale du phénomène. Elle ne fait que jeter l’anathème sur une partie des gauches radicales et des discours critiques qu’elles peuvent porter, servant en cela les intérêts de ceux qui nous dirigent.

Une telle vision des choses aurait conduit, en d’autres temps, à taxer de conspirationnistes ceux qui remettaient en cause la propagande américaine autour des armes de destruction massive irakiennes, ceux qui dénonçaient l’implication de la CIA et du Pentagone derrière nombre de coups d’état militaires en Amérique latine et ailleurs, ceux qui dévoilaient les expérimentations pharmaceutiques sur les populations africaines et ceux qui révélaient les ententes secrètes entre multinationales ou l’existence de certaines coteries commerciales ou politiques .

Étrange posture pour des militants « libertaires » qui rejoignent ainsi des positions similaires à celles des néo-conservateurs et fait cause commune avec des propagandistes néo-libéraux et les gardiens du temple républicain.

Confusionnisme et rouge-brunisme

Ces qualificatifs stigmatisants, ne répondent jamais à une définition claire tout comme les termes « confusionniste » et « rouge-brun », très appréciés de ces mêmes chasseurs de confusionnistes. Ils renvoient à l’idée d’une stratégie d’infiltration des droites radicales dans les mouvements de gauche pour le premier et à l’« aile gauche » de la révolution conservatrice allemande et du nazisme pour le second. L’emploi de ces étiquettes fourre-tout relève de la pure et simple escroquerie intellectuelle. Ils laissent entendre que les croyances et engagements politiques seraient simples, cohérents et sans ambiguïté, ou que des idéologies opposées ne pourraient se mobiliser sur des combats similaires, et ce même lorsque les raisons de ces engagements n’ont strictement rien de commun.

Selon ces représentants auto-proclamés d’une inquisition « libertaire », la gauche non gouvernementale serait donc infiltrée par d’horribles rouge-bruns visant à promouvoir des thèses d’extrême droite et à soutenir des régimes « malfaisants » (Russie, Chine, Iran, Venezuela). Cette gauche serait le masque de l’Axe du Mal en France.

Tout ce qui ne correspond pas à la vision au demeurant peu claire de ces inquisiteurs est ainsi disqualifié. Parfois, le simple fait d’être « rouge » est assimilé à un début de fascisme, et l’attaque semble difficile à contrer. Pourtant, on est rouge ou on est brun, dans les faits les « rouges-bruns » sont peu nombreux et forment un courant des droites radicales.

Calomniateurs et calomniés ne voient le monde qu’à travers leur prisme occidental. Cette vision franco-centrée fait fi des complexités locales en imposant une lecture du monde ancrée dans un schéma occidental, exact inverse de la vision « campiste » (terme usité par nos chasseurs pour désigner les soutiens à l’axe du mal, sans l’avoir défini). Qu’on le déplore ou qu’on le regrette, c’est l’impérialisme le plus agressif, donc le plus proche, qui est considéré comme l’ennemi prioritaire et non pas le plus éloigné.

De facto Poutine, l’Iran et même la Chine peuvent apparaitre comme des remparts ou des alliés objectifs pour de larges fractions de la population en Amérique latine, en Afrique et dans le monde arabe. À l’opposé, en Europe de l’Est, ce sont les USA et l’UE qui apparaissent comme un rempart face à la Russie.

Au Moyen-Orient, certains voient en l’Iran l’ennemi principal et sont prêts à s’allier avec les USA ou Israël. Inversement, certains voient en la Syrie un rempart face aux TakTaks.

On pourrait multiplier les exemples qui confirment que les analyses partent des situations locales qui conditionnent des stratégies et non une idéologie. L’écrire ne revient pas à soutenir cette stratégie mais simplement d’en rendre compte. Ce refus de la complexité du monde et des rapports de domination aboutit à servir l’impérialisme occidental face à celui de la Russie ou de la Chine.

Avec l’écroulement d’un anti-impérialisme conséquent sur le plan politique et militaire, il ne reste que l’affrontement et la concurrence entre impérialistes.

Il n’est pas question de nier les accointances, les liens et les soutiens de quelques rares militants et de structures dites de « gauche » à des thèses ou à des militants du camp adverse. Les basculements idéologiques et stratégiques existent, mais l’utilisation de termes génériques et de raccourcis sémantiques empêchent de comprendre et donc de combattre ces revirements politiques ouvrant la porte à un système de suspicion généralisée. Les mêmes qui accusent certains d’être des « rouge-bruns » peuvent être la cible de cette accusation par d’autres. N’oublions pas que Pierre Bourdieu a été taxé en son temps de rouge-brun par une presse prête à dégainer ce terme infamant pour disqualifier son positionnement politique. Ces accusations inconsidérées de rouge-brunisme ne font finalement que desservir ceux qui les profèrent. L’accusé a beau jeu de mettre en avant le flou et l’inconsistance de l’accusation, même si celle-ci peut dans certains cas être valable.

Nos chasseurs de rouge-bruns ne semblent pas comprendre le basculement de l’hégémonie culturelle à droite et donc la droitisation générale des cadres de réflexion : primat identitaire et culturaliste, acceptation du capitalisme néolibéral, disparition d’un camp anti-impérialiste, fossé entre gauches et classes populaires, etc.

Autre élément notable caractérisant cette police de la pensée : leur intransigeance à géométrie variable. Ils se montrent intransigeants face aux ennemis des USA et de la France, mais ils sont bien silencieux face à leurs camarades qui soutiennent ouvertement Israël. La lutte contre le colonialisme et le soutien à la résistance du peuple palestinien ne semble pas être inscrits dans leur agenda politique.

Ne parlons pas de la lutte contre l’islamophobie, dont le terme est sujet à des logorrhées verbales visant à le disqualifier à coups d’arguments piochés chez Caroline Fourest, Manuel Valls and co. À leurs yeux, il est plus coupable de relayer des informations issus de médias qu’ils ont à tort ou à raison blacklistés que de se faire le relais de propagandistes ouvertement pro-israéliens ou qui soutiennent la politique gouvernementale française.

Ainsi, le site Conspiracy Watch, animé par un militant du PS et Mondialisme.org, site gauchiste ouvertement sioniste, sont des références pour ces chasseurs de rouge-bruns.

Ils refusent et dénoncent la présence d’organisations musulmanes lors de manifestations ou de conférences mais sont moins regardants avec une gauche chantre de la Françafrique et des interventions militaires à but « humanitaire ».

Sous couvert d’une pureté idéologique dans le positionnement politique, ils se complaisent dans une intransigeance à géométrie variable. En somme, ils sont une incarnation caricaturale à l’extrême des contradictions et des échecs des gauches françaises. On est surtout face à une absence d’action politique concrète et à une fuite dans le virtuel.

Pour en donner un exemple récent assez ironique : un chant de soutien au YPG, que nous avons relayé, appelle à la guerre contre « les hordes salafo-sionistes », est-on face à du confusionnisme, du rouge-brunisme ? Nos chasseurs de confusionnistes ont été bien silencieux, gênés de s’en prendre aux camarades kurdes ?

Antisémitisme:

Le genre de procédés détaillés ici trouve son apogée dans la chasse frénétique aux « antisémites de gauche» dont la démonstration de leur existence se fait toujours attendre.

Cette idée fut mise à la mode, aux débuts des années 2000, par les dénonciateurs, Pierre André Taguieff en tête, d’un « nouvel antisémitisme » censément porté par les arabo-musulmans des quartiers et la gauche radicale. Diffusée, à l’origine, par des figures du néo-conservatisme et de l’extrême droite, elle rencontre depuis quelques temps une fortune nouvelle tant au gouvernement Hollande que chez des militants gauchistes de papier (ou plus exactement de clavier) qui, perdus dans les airs ou les cafés de Montreuil et de Nanterre passent leur temps à se rependre virtuellement sur le prétendu antisémitisme de leurs « camarades ».

À un niveau international, ce « nouvel antisémitisme » en grande part fantasmé  sert les intérêts israéliens et permet, au niveau national, de réhabiliter une extrême droite qui se serait débarrassée, comme par magie, de ses oripeaux antisémites.

Cette dénonciation d’un « nouvel antisémitisme » intégrée par des militants de gauche, leur permet de manifester un soutien à Israël qui ne s’accorde que peu à leurs prétendues positions idéologiques.

Faisant preuve d’une absence totale de rigueur historique et adoptant une définition extensible de l’antisémitisme, ils abreuvent la toile de textes larmoyants et décontextualisés où les raccourcis douteux rivalisent avec des raisonnements fallacieux.

Les récentes attaques contre les positions du PIR (organisation critiquable comme toutes les autres quant à sa stratégie et ses analyses politiques) sur le philosémitisme d’État et le racisme en sont un exemple parlant. Si le texte du PIR peut bien évidemment être discuté et critiqué, il a valu à son auteure de se voir comparée à l’antisémite Édouard Drumont. Pourtant, un simple coup d’œil au bestseller du pape de l’antisémitisme, La France juive (1886), ou à son journal, La Libre Parole, suffit à montrer l’inanité de ce rapprochement.

Les raccourcis historiques sont la norme.

À force, de se référer à ce que l’on ne connait pas, on finit par dire n’importe quoi, mais cela n’est pas le souci de ces paresseux rageurs et pleins de suffisance. La chasse aux antisémites imaginaires de gauche leur permet de refuser d’aborder la réalité de l’antisémitisme en France et ailleurs, et de disqualifier par un usage foutraque le terme lui-même en l’accolant à tout le monde.

En fin de compte, ils n’aboutissent qu’à produire l’effet inverse de ce qu’ils prétendent obtenir.

L’histoire apprend à se méfier des postures moralisantes et à ne pas oublier que certains philosémites et antifascistes virulents des années 1930 se sont mués en fer de lance de l’antisémitisme et/ou du fascisme ; le cas de Gaston Bergery est à cet égard instructif.

La disqualification, à défaut de la clarification, peut amener certains chasseurs à ressembler de plus en plus à leurs proies. Et il permet aux personnes qui profitent de la confusion de continuer à faire leur beurre.


- Source : Quartiers libres

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