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Noam Chomsky : l'Amérique latine à l'avant-garde contre le néolibéralisme

Auteur : Javier LORCA-Traduction Luis Alberto Reygada | Editeur : Walt | Mardi, 17 Mars 2015 - 10h29

Lors de sa conférence magistrale au Forum pour l'émancipation et l'égalité qui s'est tenu à Buenos Aires du 12 au 14 mars dernier, le philosophe et activiste étasunien a analysé l'évolution géopolitique globale 70 ans après la Seconde Guerre Mondiale, avec l'ascension puis le déclin des Etats-Unis en tant qu'axe principal. « L'Amérique latine a fait des pas significatifs vers sa libération de la domination impérialiste », a-t-il signalé.

Loin de se laisser déstabiliser par les nombreux applaudissements qui ont accompagné son arrivée à la tribune du Théâtre Cervantes, Noam Chomsky, sérieux et concentré, a commencé à lire le discours de sa conférence magistrale dans le cadre du Forum pour l’Emancipation et l’Egalité. Dans une rhétorique classique, il a débuté en présentant son thème : un état des lieux du point de vue historique et géopolitique 70 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. « C’est en Amérique latine qu’a eu lieu un des développements les plus spectaculaires durant cette période. Pour la première fois en 500 ans, l’Amérique latine a fait des pas significatifs vers sa libération de la domination impérialiste », a signalé l’intellectuel et militant de gauche étatsunien (...). « Ce sont des évènements qui ont une portée historique très profonde, qui incluent des pas importants vers l’intégration et dans le but de faire face à des problèmes internes extrêmement graves qui avaient empêché le développement salutaire de celle qui devrait être une des régions les plus dynamiques et prospères de la planète ».

Chomsky, âgé de 86 ans, a présenté à son public un aperçu global mais centré sur la place des Etats-Unis, son essor et son déclin, qu’il a illustré en se basant sur le contraste flagrant entre deux conférences régionales : celle de Chapultepec (Mexique) en 1945 et celle de Carthagène des Indes (Colombie) en 2012, qui ont été « radicalement différentes », une preuve des profonds changements historiques qui ont eu lieu entretemps.

Après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, alors que les différentes puissances qui avaient participé au conflit en sont ressorties « très affaiblies », les Etats-Unis ont initié une croissance exponentielle et ont réussi à concentrer « la moitié de la richesse du monde », multiplié leur force de frappe (avec a bombe atomique) et étendu leur contrôle sur le continent et sur les deux océans. A partir de là, les dirigeants nord-américains (Chomsky a parlé concrètement du personnel du Département d’Etat) se ont commencé à « organiser le monde afin de satisfaire les nécessités des secteurs dominants des Etats-Unis, c’est-à-dire le secteur des corporations ». Et ils ton réussi à « détenir un pouvoir indiscutable » qui n’a fait que freiner la souveraineté des autres Etats qui étaient en compétition avec l’Amérique du Nord.

La réorganisation du globe a eu antre d’autres objectifs “restaurer l’ordre en Europe”, ce qui impliquait “détruire la résistance antifasciste compromise avec la démocratie radicale ». En 1945, une conférence a été organisée pour établir « les règles du jeu en Amérique latine » à Chapultepec, où a été encouragée « l’élimination du nationalisme économique, avec l’exception de celui des Etats-Unis », pour assurer le rendement des investissements nord-américains. Chomsky a rappelé que l’Amérique latine était, pour les gouvernements des étatsuniens, « notre petite région qui n’a jamais embêté personne », selon la définition de Henry Stimson, ancien secrétaire de Guerre des EU.

C’est un autre rapport de force que le linguiste et professeur du MIT a décrit au sujet du début du XXIème siècle. Lors de la conférence de Carthagène, en 2012, il n’y a pas eu de consensus pour la déclaration finale car les Etats-Unis et le Canada se sont retrouvés dans une position d’isolement, entourés par la position majoritaire de la région au sujet de trois points. Cuba, la lutte contre le narcotrafic et la réclamation argentine des îles Malouines. « Tout cela était impensable il y a encore quelques années », a remarqué Chomsky. « La comparaison de ces conférences permet d’observer la décadence des Etats-Unis. » Comment ce déclin est-il arrivé ? Pour Chomsky, c’est le résultat d’un long processus qui trouve ses origines dès 1945, lorsque les Etats-Unis présupposent tacitement qu’ils sont les maîtres du monde. « La décadence était inévitable au fur et à mesure que le monde industrialisé se ravivait (après la guerre) et que le processus de décolonisation avançait. »

Noam Chomsky a ensuite tenté de mettre à nu l’imposture nord-américaine mise en place pour justifier le déploiement militaire et la menace latente de nouvelles incursions belliqueuses. « Que s’est-il passé à la fin de la Guerre Froide ? ». Les gouvernements étatsuniens qui se sont succédés ont maintenu la pression militaire « non pas pour freiner l’Union Soviétique, mais pour freiner les puissances du Tiers-Monde ». L’idée dominante aux Etats-Unis est toujours la même et Chomsky la décrit avec une subtile ironie : « une préoccupation par le nationalisme radical qui se trompe en croyant que les principaux bénéficiaires des richesses d’un pays doivent être ses habitants et non les investisseurs étatsuniens ».

Depuis la fin des années ’70 cette idéologie s’est matérialisée en “une attaque néolibérale, une attaque mondiale sur les droits de l’homme », et une ingénierie bureaucratique organisée pour protéger les grandes banques et corporations des récurrentes crises du capitalisme, dont les coûts sont transférés à l’ensemble de la société. « L’Amérique latine -selon lui- a été à l’avant-garde de la lutte contre l’assaut néolibéral ».

La fin de sa conférence a été marquée par un avertissement au sujet des plusieurs risques aux conséquences apocalyptiques. « L’espèce humaine se trouve au bord du précipice. Deux dangers menacent l’humanité : la guerre nucléaire et la catastrophe écologique. Durant les dernières années, ces menaces se sont accrues. Pour la première, nous connaissons la solution : il faut éliminer les armes nucléaires », a signalé Chomsky, soulevant une vague d’applaudissements. Mais il a ensuite rappelé que les Etats-Unis avaient annoncé des investissements en millions de dollars pour moderniser son armement nucléaire. Il ne s’est pas non plus montré optimiste au sujet des problèmes écologiques générés par l’activité humaine (en se référant tout particulièrement à l’extraction de combustibles fossiles) : « Nous ne savons pas clairement comment surmonter la situation écologique catastrophique dans laquelle nous nous trouvons » mais il est indispensable d’aborder cette question, si l’homme souhaite vraiment continuer à vivre sur la planète Terre.


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