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Medellín : "De la ville la plus violente à la ville la plus innovante"

Auteur : Sabine Grandadam | Editeur : Walt | Vendredi, 09 Janv. 2015 - 14h28

Longtemps meurtrie par la violence, Medellín, deuxième ville de Colombie, a entamé depuis douze ans une profonde mutation. Son maire, Aníbal Gaviria, nous explique les principes d'une politique axée sur la refondation sociale. Interview.

Aníbal Gaviria Correa est maire de Medellín depuis 2012, après avoir été gouverneur du département d'Antioquia (dans le Nord-Ouest) de 2004 à 2007. Bien que d'un bord politique opposé, il poursuit l'action engagée depuis douze ans par les deux maires qui l'ont précédé pour transformer cette cité de 3,5 millions d'habitants. Priorité absolue : réduire la pauvreté, les inégalités et l'exclusion.

La famille d'Aníbal Gaviria a payé un lourd tribut au conflit armé en Colombie : en 2003, son frère aîné Guillermo était assassiné par les Farc, qui l'avaient enlevé un an plus tôt. En décembre dernier, le maire de Medellín a reçu un prix, décerné par des organisations citoyennes de Colombie aux élus les plus investis dans la réduction de la pauvreté.

Courrier international : Quel portrait feriez-vous de Medellín aujourd'hui ?

Aníbal Gaviria Correa : On dit souvent que notre ville a changé d'image. Mais c'est la réalité qui a changé ! Il y a vingt ans, nous connaissions une violence aiguë, nous vivions une époque sombre. En 1991, nous avons atteint un taux record de 390 homicides pour 100 000 personnes. Aujourd'hui, c'est une ville résiliente, qui est passée du statut de ville la plus violente du monde à celui de la ville la plus innovante et est parvenue à réduire de 95 % ce taux d'homicides.

Nous devons poursuivre et renforcer la transformation sociale et urbaine qui a été engagée, sans nous voiler la face sur les problèmes non résolus, comme les inégalités ou la violence. La pauvreté [extrême, correspondant, d'après l'institut national de statistiques colombien, à des revenus mensuels inférieurs à 96 000 pesos, soit 33,8 euros, considérés comme insuffisants pour satisfaire les besoins alimentaires de base] a reculé de 8 à 3 % en une dizaine d'années, et nous croyons qu'il est possible de la réduire encore. Mais l'un des principaux atouts de Medellín, qui complète ce portrait, c'est sa population : accueillante, gaie, entreprenante. C'est une grande force. Nous sommes une communauté d'entrepreneurs, très dynamique sur le plan économique, et cette caractéristique s'inscrit dans une longue histoire industrielle et commerciale.

CI : Quel est le principal levier de cette mutation ?

AGC : La mise en œuvre d'un modèle basé sur des principes simples. A commencer par celui-ci, qui vous paraît évident mais ne l'était pas pour notre ville : le droit de chaque citoyen au respect de sa vie. C'est la genèse d'une nouvelle culture, au sens citoyen du terme, qui réintroduit l'idée de l'équité et du vivre ensemble. Tout ce que nous faisons vise à remettre de l'équité dans nos territoires urbains.

Les citoyens privilégient souvent les signes physiques de l'action municipale, une nouvelle autoroute, une école, mais ce qu'il y a derrière ces infrastructures, voilà la vraie transformation. Prenez le Metrocable [des lignes de téléphérique qui relient au centre-ville les quartiers les plus précaires des bidonvilles, situés sur les hauteurs]. Il ne s'agit pas seulement de transport. Le Metrocable est une traduction de ce principe d'équité. Il introduit de l'espace public là où il n'en existait pas.

C'est le cas pour toutes les infrastructures que nous créons : elles n'existent pas ex nihilo mais font partie d'un ensemble d'investissements publics destinés à l'éducation et l'égalité des chances. Regardez notre programme "Buen comienzo" (Bon début) : il ambitionne d'apporter aux enfants à la fois la sécurité alimentaire et une éducation globale. En dix ans, le taux de scolarisation est ainsi passé de 25 % à 87 %.

Autre exemple : nous avons créé la journée complémentaire pour les enfants de l'école publique, en leur proposant, après l'école, des activités culturelles, des ateliers de robotique, des cours de langues. Ces programmes existaient dans le système scolaire privé, mais pas dans le public.

Dans les quartiers pauvres où nous l'avons implantée, cette initiative a un impact impressionnant sur la convivialité, le vivre ensemble dont je vous parlais. Nous tentons ainsi de réduire l'abandon scolaire et de détourner les jeunes de la drogue et de la délinquance.

CI : Quelles sont les conditions pour réussir une telle politique ?

La métamorphose de Medellín est le résultat du travail de gouvernements locaux successifs mais cohérents entre eux. Des équipes impliquées qui ont assuré la continuité de l'action, au moins sur l'essentiel.

Un seul mandat, et par conséquent un seul gouvernement municipal, ne suffit pas pour introduire de grands changements. Ce qui compte pour réussir, c'est un socle commun de valeurs d'une équipe à l'autre. Nous nous considérons comme des serviteurs de l'Etat ayant pour priorité de réduire les inégalités, principal problème de notre département, et d'ailleurs de la Colombie en général.

Une autre condition pour réussir, c'est la transparence de la gestion municipale, les comptes que nous rendons à la population, l'affectation cohérente des ressources publiques, visible par tout un chacun. Cette transparence est primordiale pour conserver la confiance de la population et de ce fait être en mesure de bien gouverner. Sans la transparence, ce sont les branches pourries de la corruption, de la gabegie des fonds publics qui prennent le dessus. L'organisme indépendant d'évaluation des politiques publiques en Colombie a classé Medellín en tête des 1 100 municipalités du pays qui pratiquent une bonne gouvernance. Enfin, l'autre aspect important que j'évoquais précédemment, c'est que nous sommes tous d'accord sur le fait que c'est le changement d'état d'esprit dans cette ville qui constitue le moteur de sa transformation.

Cette approche suffit-elle à lutter contre la violence ?

Quand je vous parle de ce que nous faisons, on pourrait croire que nous vivons dans un paradis, mais bien sûr c'est loin d'être le cas ! Si je vous parle de notre ville en termes positifs, c'est parce que nous venons de loin et que j'évoque le chemin parcouru. Bien entendu, les difficultés sont toujours à notre porte.

Nous avions un taux d'homicides qui s'apparentait à une guerre, et ce taux reste très élevé. Nous ne sommes pas parvenus à une situation idéale ni même complètement normale. Nous avons seulement avancé, et avec une telle ampleur que Medellín est devenue un exemple pour d'autres villes. Mais nous ne sommes pas venus à bout des gangs, ni du trafic de drogue. A cet égard, notre stratégie se résume en trois points : attaquer les inégalités qui nourrissent le climat de violence, attaquer la violence de front avec la légitimité et toute l'autorité des institutions publiques (municipalité, police, justice), et enfin donner des opportunités de se réinsérer à ceux qui ont accepté de renoncer à la violence [Aníbal Gaviria se réfère notamment à la démobilisation des paramilitaires depuis 2009].

Malgré les difficultés, ce qui nous conforte dans ces choix, c'est de constater que les citoyens, selon les enquêtes régulières de l'organisme indépendant Medellín como vamos [qui mesure les résultats des politiques publiques et leur perception par la population], nous soutiennent et ont un fort sentiment de reconnaissance à l'égard de cette politique. Les habitants de Medellín ont récemment désigné la mairie comme l'institution la plus à même, selon eux, de résoudre les problèmes et de relever les défis qui nous attendent.


- Source : Sabine Grandadam

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