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Samedi, 27 Avr. 2024

François Bayrou relaxé : défense de rire

Auteur : Régis de Castelnau | Editeur : Walt | Mercredi, 07 Févr. 2024 - 11h46

Le tribunal correctionnel de Paris vient donc de rendre une décision dans l’affaire dite des « emplois fictifs du MoDem au Parlement européen ». Toutes les personnalités politiques renvoyées devant le tribunal sont condamnées, toutes sauf… leur chef François Bayrou. Nouvelle démonstration s’il en était besoin de ce que j’ai, me semble-t-il, démontré dans mon dernier ouvrage « Une justice politique. Des années Chirac au système Macron histoire d’un dévoiement ». Démonstration, mais on pourrait dire caricature de ce que fait la justice française, devenue force politique autonome en violation du principe de la séparation des pouvoirs, et ayant renoncé à son rôle d’arbitre impartial. Protèger Emmanuel Macron après l’avoir fait élire. François Bayrou est une pièce non négligeable dans les dispositifs du président de la publique et il vient de bénéficier d’une mansuétude dont on peut craindre qu’elle soit à géométrie variable dès lors qu’il sera question des adversaires politiques du chef de l’État.

Affaire Bayrou : 15 ans de comédie

Retour sur une procédure qui avait commencée comme une pantalonnade, qui s’est poursuivie comme une pantalonnade et qui se termine comme une pantalonnade.

De quoi s’agit-il sur le fond ? Le MoDem, parti fondé par le maire de Pau, et plus proche du groupuscule que du parti de masse, est accusé d’avoir fait la même chose qu’a peu près tout le monde, que ce soit au Parlement français ou au Parlement européen : utiliser les assistants parlementaires, normalement collaborateurs d’élus, comme permanents du parti. Concernant le MoDem, c’était depuis longtemps, voire très longtemps un secret de polichinelle, en particulier depuis la publication en 2015 par Corinne Lepage d’un livre intitulé, ça ne s’invente pas « Les mains propres ». Celle-ci, élue députée au Parlement européen en 2009 sur une liste MoDem avait détaillé dans cet ouvrage quelles étaient des pratiques du parti. C’était on ne peut plus clair et la presse avait répercuté ces accusations…

Le Parquet National Financier, structure à compétence nationale créée à l’initiative de François Hollande pour protéger ses amis, était naturellement resté muet. Toujours soigneusement sélectif il se montrait plus intéressé par chercher des noises au Front National, à Nicolas Sarkozy et bien sûr à François Fillon, avec le résultat que l’on connaît. Il y eut aussi Jean-Luc Mélenchon victime d’un raid judiciaire spectaculaire avec ses 17 perquisitions simultanées. Tout le monde se souvient de sa spectaculaire et homérique colère. On notera que sept ans plus tard la blitzkrieg judiciaire en grand équipage lancée ce jour-là n’a guère avancé.

François Bayrou dormait donc sur ses deux oreilles. Il put ainsi organiser ses manigances pendant la campagne présidentielle et négocier son ralliement à Emmanuel Macron contre une place de garde des Sceaux dans le premier gouvernement. Tope là, cochon qui s’en dédie et Bayrou se retrouva ainsi ministre de la Justice dans le premier gouvernement Philippe qui siégea entre le 15 mai et le 19 juin 2017. Chargé d’une grandiose mission : présenter au Parlement une grande loi de « Moralisation de la vie publique » ! Défense de rire… Malheureusement pour lui, il se trouva quelqu’un pour tirer Macron par la manche en lui rappelant l’existence du problème des détournements de fonds publics reprochés au MoDem, qui certes n’intéressait pas la justice française mais avait agacé le Parlement européen. Lequel avait lancé une procédure de recouvrement des sommes indûment perçues par le MoDem. Et puis il y avait aussi les acrobates du parquet de Paris virtuoses de la géométrie variable qui avaient fait du zèle contre la bête immonde. Le 15 décembre 2016, le parquet avait ouvert une enquête préliminaire visant le Front National (qui s’appelait encore comme ça) pour « abus de confiance », « recel d’abus de confiance », « escroquerie en bande organisée », « faux et usage de faux » et « travail dissimulé ». Parmi les incriminations, il manquait proxénétisme, trafic de drogue, et actes de barbarie mais c’était tout juste. Au cours du même mois de décembre, les magistrats instructeurs du pôle financier furent saisis. Qui organisèrent 20 février 2017, histoire peut-être de pimenter la campagne électorale de Marine Le Pen, une perquisition au siège du Front à Nanterre.

Avec en plus le rodéo judiciaire contre François Fillon, la mansuétude sélective observée à l’égard du grand ami d’Emmanuel Macron pouvait s’avérer gênante. François Bayrou fut exfiltré de la place Vendôme et la mort dans l’âme le PNF fut contraint d’ouvrir une enquête préliminaire. Mais il faut se rappeler du communiqué commun du premier Président et du Procureur général de la Cour de cassation à propos de la procédure fulgurante lancée contre François Fillon : « en matière de justice, c’est chacun son rythme… ». Celui utilisé pour François Bayrou fut fort paisible, le front restant soigneusement immobile. Au point que le Canard enchaîné nous apprenait en janvier 2019, soit quatre ans après les révélations de Corinne Lepage, qu’il ne s’était rien passé. Le patron du MoDem principal intéressé n’avait seulement jamais été auditionné ni perquisitionné. Et rapportant tranquillement sans être démenti un propos de Laurence Vichnievski ex-magistrate devenus députée MoDem : « c’est Macron qui retarde l’instruction ». (!)

François Bayrou, entre-temps nommé « Commissaire au plan » avec rang et rémunération de ministre, sera mis en examen le 6 décembre 2019 et le 9 mars 2023 enfin renvoyé avec huit autres personnes devant le tribunal correctionnel. L’audience publique se déroulera à partir du 16 octobre 2023 accompagnée d’une notable discrétion médiatique nulle et la décision sera rendue et triomphalement annoncée concernant la relaxe de François Bayrou le 5 février 2024.

François Bayrou innocent comme l’agneau

Il n’est pas de notre propos de revenir en détail sur toutes les qualifications retenues et sur les peines infligées, on notera simplement que les peines de prison et d’inéligibilités ont toutes été assorties du sursis. Le MoDem poursuivi en tant que personne morale a été condamné à des peines d’amende assez lourde auxquelles s’ajoutent les remboursements versés au Parlement européen.

C’est bien évidemment la relaxe de François Bayrou, vieux routier de la politique et patron du MoDem qui l’a créé. Le parquet qui devait craindre le ridicule n’avait pas requis la relaxe mais une déclaration de culpabilité accompagnée d’une peine 30 mois de prison avec sursis, 70.000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité avec sursis contre François Bayrou. Le tout pour complicité de détournement de fonds publics. Le tribunal ne l’a pas suivi et a considéré vient de « qu’il ressortait des pièces du dossier qu’il ne pouvait pas avoir connaissance de ces contrats et donc des détournements de fonds publics ». C’est l’évidence, François Bayrou qui fait de la politique depuis 50 ans, qui a connu et organisé tous les systèmes où souvent l’expédient est roi, n’avait en fait aucune idée de la façon dont les attachés parlementaires payés par le Parlement européen étaient utilisés. Innocent comme l’agneau François Bayrou, écoutons Corinne Lepage : « Ainsi, durant cinq ans, la secrétaire particulière de François, Bayrou a été payée par l’enveloppe d’assistance parlementaire de Marielle de Sarnez sur fonds européen. » Évidemment que François Bayrou qui a vu quasiment quotidiennement sa secrétaire pendant cinq ans n’avait strictement aucune idée de ce qu’elle percevait pour s’acheter à manger. Et ceux qui disent le contraire sont de bien méchantes langues.

Baliser le barrage

Dans sa lecture à l’audience, le président du tribunal a donné quelques précisions et motivations, qui éclairent la décision. Et notamment les sursis dont sont assorties les peines de prison (en général 18 mois) et les peines d’inéligibilité (en général deux ans). Pour justifier cette échelle il a indiqué que le tribunal avait pris en compte :

D’abord « Le montant des sommes détournées, la durée d’exécution des contrats et nombre de contrats signés ». Cette méthode a ceci d’intéressant, qu’en se contentant d’additionner, elle part d’un montant brut. Méthode de calcul qui pénalise ceux à qui les électeurs ont fait confiance et qui ont des groupes plus nombreux. Pour les « sommes détournées », un ratio du montant rapporté au nombre d’élus aurait été plus équitable. Concernant le nombre de contrats c’est encore plus évident.

Ensuite le président a expliqué le sens global du jugement, que certains pourraient considérer comme indulgent par rapport aux affaires Fillon et Sarkozy. « Le détournement n’a pas été systématique ». Ça c’est sûr, car ce que disait Corinne Lepage ne caractérisait en aucun cas un système (!) : « Lorsque j’ai été élue au parlement européen 2009, le modem avait exigé de moi qu’un de mes assistants parlementaires travaille au siège parisien. J’ai refusé, en indiquant que cela me paraissait d’une part contraire aux règles européennes, et d’autre part illégal. Le modem n’a pas osé insister, mais mes collègues ont été contraints de satisfaire cette exigence. »

Et enfin le président a ajouté, bienveillant : « les sommes détournées n’ont pas été utilisées à des fins personnelles ». Ah bon ?  Outre que la jurisprudence dans les affaires politiques ou financières est constante à considérer que les dépenses utiles à la carrière politique sont des dépenses personnelles, cette présentation est assez surprenante. En particulier lorsqu’on entend une ancienne assistante parlementaire de Marielle de Sarnez. Qui affirme avoir été sa « gouvernante ». Selon elle, 65 % de son temps étaient consacrés à des « tâches personnelles au profit de celle-ci », telles que « la supervision des travaux de construction d’une demeure sur l’île de Patmos en Grèce », ou encore l’organisation des voyages pour l’eurodéputée et ses neveux, et la comptabilité du salaire de sa femme de ménage. Rien de personnel évidemment.

Comme l’ont relevé les journalistes présents à l’audience, le président a en fait donné au nom du tribunal le mode d’emploi qui sera utilisé pour les prochains procès d’assistants parlementaires. Le suivant sur la liste sera celui du Rassemblement National prévu pour l’année 2024.

Marine Le Pen arrivera-t-elle le jour venu, comme François Bayrou, à démontrer « qu’elle ne pouvait pas avoir connaissance des contrats d’attachés parlementaire du RN et donc des détournements de fonds publics » ? Où la faiblesse « du montant des sommes détournées, de la durée d’exécution des contrats et du nombre de contrats signés » ? Ou encore que « les sommes détournées n’ont pas été utilisées à des fins personnelles » ?

Si ce n’est pas le cas, les peines d’inéligibilité qui seraient alors prononcées risqueraient fort de ne pas être assortie du sursis…

Finalement, au-delà de la joie qu’elle a dû procurer à François Bayrou, cette décision a balisé la suite et la solution de l’affaire concernant le RN. Évitons les procès d’intention, mais pour les adeptes de l’antifascisme en carton, on peut craindre la tentation de se débarrasser de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2027 par les voies judiciaires. Pour terminer, encore une petite touche de mauvais esprit : que va faire le parquet ? Qui, rappelons-le, avait requis la condamnation de François Bayrou. Désavoué va-t-il faire appel de la décision ?

***

L'affaire Bayrou : une justice aux ordres ? Avec Maître Régis de Castelneau


- Source : Vu du droit

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