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Russie : le confinement de trop ?

Auteur : Karine Bechet-Golovko | Editeur : Walt | Mardi, 02 Nov. 2021 - 12h58

Alors que le président de la Cour constitutionnelle russe sonne l’alarme sur les risques d’une limitation excessive des droits constitutionnels et des libertés, notamment en période de pandémie, le porte-parole du Kremlin coupe toute possibilité même de réflexion en se drapant dans le danger pour la vie. La rhétorique est habituelle dans les pays atlantistes est donc devenue la norme dans le discours intérieur russe. Et la distance entre la radicalisation du discours et sa réalisation grandit à chaque étape. Pour cela, il suffit de voir le nombre d’établissements qui restent ouverts malgré l’obligation de fermeture. Le fanatisme entraîne le nihilisme, la Russie est en train de le vivre. Encore une fois.

Une passe d’armes intéressante s’est produite à l’occasion de la nouvelle tentative d’enfermement du pays et des hommes « pour leur bien », « pour leur vie ». L’heure n’est pas à la réflexion, les élites dirigeantes ont fait le grand saut dans l’offre globale et aucun discours dissident, c’est-à-dire soulevant la question de la proportionnalité et de l’efficacité réelle de ces mesures pour le but annoncé, n’est plus tolérée.

L’élu communiste Rashkine, qui se bat ouvertement contre ces expérimentations, vient d’être interpellé pour avoir soi-disant chassé sans autorisation des espèces protégées – les caméras étaient déjà prêtes et les images diffusées sans attendre dans les médias, qui répétaient à loisir – « maintenant, ça réputation est perdue« . Le parti communiste a été sommé de régler la question. Manifestement, les bonnes vieilles méthodes n’ont rien perdu de leur luisant, elles ont simplement de plus en plus de mal à convaincre.

Le président de la Cour constitutionnel, lui, publie un article dans lequel il a l’étourderie de s’inquiéter pour les atteintes disproportionnées aux droits constitutionnels et aux libertés des citoyens sous couvert, notamment, de « pandémie ». Il rappelle que l’Etat en Russie (et ce n’est pas le seul, comme l’expérience le montre) a cette tendance désolante.

La réponse tombe, glaçante et tranchante, de la bouche de Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, alors que Poutine est en train de faire l’allégeance covidienne au G 20 : les mesures liberticides sont justifiées en raison du danger pour la vie. S’il est vrai, selon Golikova, que la mortalité est plus importante cette année, qu’elle ne l’était l’année dernière et l’année dernière qu’il y a deux ans, cela veut dire que les mesures adoptées sont, sur le plan sanitaire, au minimum inefficaces, au pire dangereuses.

La radicalisation du discours intérieur, autant que la répétition des mesures contraignantes, n’arrivent plus à convaincre la population. Les gens peuvent se faire vacciner sous la contrainte, ils n’en développent que plus de ressentiment contre le pouvoir. Une dangereuse fracture se met en place.

Pour illustrer ce propos, l’on peut citer l’Ombudsman des entrepreneurs, Boris Titov, soutenant les QR Codes, évidemment pour raison sanitaire, qui déclare sans ciller que c’est une bonne idée maintenant. Cet été, les QR Codes avaient conduit à une perte de 80% pour le business, mais désormais ce sera différent, car il y a plus de vaccinés. Il y croit, il le veut.

Ces élites ne vivent pas dans le monde réel, elles vivent dans un monde désiré.

Les théâtres sont obligés d’annuler des représentations, car les billets codés ne se vendent pas, et d’une manière générale ont déclaré une augmentation des annulations et une baisse des ventes. Des milliers de recours, individuels et collectifs, sont déposés dans plusieurs régions de Russie au procureur contre les décrets locaux imposant les QR Codes, à Saint-Pétersbourg des groupes de citoyens se constituent contre ces QR Codes. Manifestement, et contre l’avis de Titov, le pourcentage de vaccinés n’est pas à la source de l’échec des QR Codes cet été.

De son côté, Rospotrebnadzor, qui doit surveiller que les établissements sont bien fermés pendant le lockdown, ne sait plus où donner de la tête et passe son temps à menacer les établissements de 3 mois de fermeture pour être restés complètement ouverts, sans même se cacher. Cela concerne à Moscou des salons de beauté, des grandes chaînes de magasins de cosmétiques, des salons de téléphonie mobile, des grands centres commerciaux, des magasins d’alcool, des magasins de discount, des magasins d’outillage … L’on n’avait pas vu ça lors des dernières fermetures.

Sans oublier les établissements clandestins qui se développent. Un exemple vécu à Saint-Pétersbourg. Une collègue magistrate arrive pour un évènement officiel samedi matin par le train de nuit et trouve évidemment tout fermé. Mais il faut bien manger. Non loin de la gare, elle trouve un restaurant, officiellement uniquement à emporter – bien sûr. Quand elle demande si elle peut manger à l’intérieur, le serveur hésite, la regarde, la teste … lui demande si elle peut payer en liquide. Quand elle accepte, il ouvre une porte qui conduit sur une salle cachée … remplie de monde en train de manger. Idem, le soir, sur l’avenue Nevsky, plusieurs personnes vous proposent accès à des bars clandestins ouverts jusqu’à 7h du matin. Si les établissements clandestins ont toujours fonctionné lors des différentes restrictions, ils sont de plus en plus ouvertement présentés.

Ce discours radicalisé et cette propagande infantile ne peuvent plus convaincre que les convaincus, ce qui est extrêmement dangereux pour la stabilité du pays. Il est vrai que, formellement, les mesures sont adoptées au niveau local, mais le discours tant présidentiel, que celui des élites dirigeantes étant à ce point radicalisé, qu’il leur sera quasiment impossible de restaurer la confiance de la population, si à un moment leur instinct de survie se réveille et qu’ils décident de faire marche arrière toute. Par ailleurs, en s’acharnant d’une manière aussi ridicule contre un élu communiste, ils sont justement en train de créer de véritables figures politiques alternatives, à la différence des Navalny and co. Ce confinement a été le pas de trop, qui risque de discréditer profondément le pouvoir.


- Source : Russie politics

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