Les Etats-Unis n’ont jamais sympathisé avec le régime de Bachar Assad mais Washington préférait rester à l’écart des événements syriens. En effet, l’expérience des campagnes en Irak, Afghanistan et Libye lui suggérait que s’interposer dans le conflit entre le pouvoir syrien et l’opposition ne présageait rien de bon pour les États-Unis. Les militaires, c’est-à-dire ceux qui étaient directement impliqués dans ces campagnes, le comprenaient mieux qui quiconque.

Mais certains alliés des Etats-Unis les poussaient à intervenir militairement en Syrie, estime Sergeï Demidenko, expert de l’Institut d’évaluations et d’analyse stratégique :

« C’était précisément les États se tenant prêts selon le chef de la diplomatie américaine John Kerry à assumer les frais de cette campagne, qui se montraient les plus intéressés à attaquer la Syrie. Je pense aux États du golfe Persique, et au premier chef à l’Arabie Saoudite et au Qatar. Les États-Unis et l’Occident dans son ensemble étaient plutôt réticents parce que tous se rendaient compte que le régime d’Assad ne présentait aucun danger pour les pays occidentaux malgré son caractère autoritaire et ses tendances indépendantistes. »

Par contre, le régime alaouite de Damas est un ennemi aussi bien géopolitique que religieux pour les monarchies sunnites. Mieux encore, si la destitution d’Assad faisait le jeu de Doha et d’Er-Riyad, c’est parce que l’Iran, leur principal adversaire dans la région, s’en trouverait affaibli. Aussi, aux premières nouvelles faisant état d’une attaque chimique dans une banlieue de Damas, se sont-ils empressés de rappeler à Obama sa déclaration de naguère. C’est que le leader américain avait promis que l’emploi des armes chimiques deviendrait « la ligne rouge » et que les États-Unis seraient obligés d’intervenir dans le conflit syrien si elle était franchie un jour. Finalement, vers la fin de l’été, les Américains ont renforcé leur groupement aéronaval au large des côtes syriennes et ont commencé à se préparer à l’attaque. Sergeï Demidenko raconte de quoi cette attaque pourrait avoir l’air :

« Au moment où le Congrès américain délibérait de la possibilité d’une frappe contre la Syrie, Kerry a caractérisé les plans militaires de la Maison Blanche comme « des efforts très limités ». Cela signifiait que la Maison Blanche préparait une opération plus retentissante que vraiment efficace. Si cette opération était approuvée et mise en oeuvre, elle aurait l’air de celle de « Canyon Eldorado » lancée en 1986 contre Kadhafi. Les Américains se sont sont alors limités à porter des frappes contre plusieurs sites militaires et le palais présidentiel à Tripoli. »

Ce scénario n'aurait pas changé la donne en Syrie mais aurait été en revanche le moins coûteux pour les États-Unis. En même temps, Washington et personnellement le prix Nobel Obama, auraient vu leur image passablement ternie. C’est alors que les diplomates russes lui ont fait un cadeau inespéré. En effet, alors que la décision sur la frappe contre la Syrie semblait être prise, Kerry a fait comprendre que les États-Unis étaient prêts à renoncer à l’attaque si Damas détruisait ses armes chimiques. Ces paroles du secrétaire d’État ont été entendues au Kremlin qui a immédiatement proposé un contre-plan. L’accord sur cette question a finalement été réalisé à la suite des longues et laborieuses consultations entre les ministres des AE des États-Unis et de la Russie. Finalement, Damas a procédé à la destruction de ses armes chimiques, Washington a évité la nécessité de s’impliquer dans une nouvelle aventure militaire et Moscou a pu renforcer ses positions dans l’arène internationale.