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Le regard du pape sur l’Eglise et le monde

Auteur : Oscar Fortin via Agoravox | Editeur : Stanislas | Vendredi, 06 Déc. 2013 - 16h13

L’exhortation apostolique du pape François « Evangelii Gaudium  », inspirée par les impératifs évangéliques et l’amour inconditionnel des pauvres, nous révèle une Église à convertir et un monde à transformer. De fait, l’Église, sous divers aspects, s’est enlisée dans la mondanité des pouvoirs et la superficialité d’une religiosité, alors que l’humanité se retrouve dans la plus grande indigence, prise en otage, qu’elle est, par une minorité, envoutée par l’idolâtrie de l’argent.

Le pape François est bien conscient des limites de ce regard qu’il partage comme pasteur de l’Église universelle et il prend bien soin de préciser qu’il n’a pas la prétention d’avoir le dernier mot sur toutes ces questions qui concernent l’Église et le monde. (16)

De ce document de plus de 165 pages, je ne relèverai que quelques éléments qui m’apparaissent particulièrement importants tant par leur contenu que par la clarté du langage utilisé pour les dire.

D’ABORD UNE ÉGLISE À CONVERTIR

Le pape François n’est pas un nouveau venu dans cette Église. Il l’a fréquentée comme croyant, puis comme jésuite, évêque et cardinal. Il a eu à croiser sur sa route beaucoup de ces acteurs du pouvoir ecclésial, faisant de la doctrine, leur évangile, et des cultes liturgiques et sacramentaux, la pratique religieuse. Il en fut même un acteur important comme cardinal de Buenos Aires, en Argentine. Toutefois, sa proximité avec les pauvres lui fit découvrir tout à la fois le sens de la mission évangélique en même temps que les grandes injustices sociales auxquelles les pauvres et les laissés pour compte sont soumis. De cette expérience, il tire une première conclusion pour ceux et celles qui se consacrent à la diffusion de l’évangile : 

« La communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple. Les évangélisateurs ont ainsi “l’odeur des brebis” et celles-ci écoutent leur voix. Ensuite, la communauté évangélisatrice se dispose à “accompagner”. Elle accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être. » 

Ainsi, l’Église doit se dépouiller, sortir d’elle-même et être là où sont les plus déshérités de la terre : les pauvres, les malades, les laissés pour compte que sont souvent les étrangers, les personnes âgées. Elle doit y faire là sa demeure, non pas pour y dicter une doctrine ou pour y imposer une morale, mais pour accompagner avec bonté et compréhension ce peuple préférentiel de Jésus.

Une approche qui a de quoi secouer cardinaux, évêques, prêtres, religieux et religieuses, ainsi que bien des laïcs qui se sont habitués à une religion et à une pratique religieuse faite de services cultuels, de gestion de sacrements et d’administration assaisonnée évidemment de certaines œuvres de charité.

« Sans une vie nouvelle et un authentique esprit évangélique, sans “fidélité de l’Église à sa propre vocation, toute nouvelle structure se corrompt en peu de temps. » (26) 

Le pape François fait également un diagnostic d’une certaine forme de mondanité de la foi chez certains groupes. 

« 93. La mondanité spirituelle, qui se cache derrière des apparences de religiosité et même d’amour de l’Église, consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine et le bien-être personnel (…) Du moment qu’elle est liée à la recherche de l’apparence, elle ne s’accompagne pas toujours de péchés publics, et, extérieurement, tout semble correct. Mais si elle envahissait l’Église, “elle serait infiniment plus désastreuse qu’une quelconque autre mondanité simplement morale”. 

Il poursuit sa réflexion sur cette mondanité en y relevant ses effets pervers. 

97. « Celui qui est tombé dans cette mondanité regarde de haut et de loin, il refuse la prophétie des frères, il élimine celui qui lui fait une demande, il fait ressortir continuellement les erreurs des autres et est obsédé par l’apparence. (…) C’est une terrible corruption sous l’apparence du bien. (…)Que Dieu nous libère d’une Église mondaine sous des drapés spirituels et pastoraux. » 

Le temps est donc venu pour l’Église de retrouver la conscience et l’esprit de ses origines pour redevenir l’authentique témoin du message apportée par Jésus au monde. 

“26. Toute rénovation de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité plus grande à sa vocation [...] L’Église au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. ”

MAIS AUSSI UN MONDE À CHANGER 

Sur ce point, le pape François se démarque de ces prédécesseurs en étant plus précis sur le diagnostic qu’il fait de l’état dans lequel se retrouve l’humanité en ces temps que sont les nôtres. La pauvreté n’est plus la résultante du manque de charité des plus nantis à l’endroit des pauvres, mais d’un système mis en place pour favoriser certains groupes économiques et financiers au détriment de la grande majorité des hommes, des femmes et des enfants de notre planète terre. Ceux qui pensent que selon les théories “de la rechute favorable” qui suppose que chaque croissance économique favorisera une plus grande équité et inclusion sociale se trompent, dit le pape.

“54  Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. 

Là où le pape François est le plus clair sur cette question d’un système entièrement dominé par l’argent et le marché se trouve au point 202 de son intervention. À ma connaissance, aucun pape n’a été aussi précis et aussi clair.

202 La nécessité de résoudre les causes structurelles de la pauvreté ne peut attendre, non seulement en raison d’une exigence pragmatique d’obtenir des résultats et de mettre en ordre la société, mais pour la guérir d’une maladie qui la rend fragile et indigne, et qui ne fera que la conduire à de nouvelles crises. Les plans d’assistance qui font face à certaines urgences devraient être considérés seulement comme des réponses provisoires. Tant que ne seront pas résolus radicalement les problèmes des pauvres, en renonçant à l’autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière, et en attaquant les causes structurelles de la disparité sociale,173 les problèmes du monde ne seront pas résolus, ni en définitive aucun problème. La disparité sociale est la racine des maux de la société. 

Il y a dans cet énoncé de quoi faire réfléchir nombre de cardinaux et d’évêques des pays du Tiers-monde, mais aussi et surtout des pays, dits développés.

Sur toutes ces questions de l’inclusion sociale, de la pauvreté et des réformes structurelles de l’économie et de la finance qui s’imposent, je recommande aux personnes intéressées d’aller sur le lien plus haut donné de l’exhortation apostolique pour y lire les paragraphes indiqués ici.

Non à une économie d’exclusion : 53-54

Non à une nouvelle idolâtrie de l’argent : 55-56

Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir : 57-58

Non à la disparité sociale qui engendre la violence : 59-60

Économie et distribution des revenus : 202-208

Avoir soin de la fragilité : 209-216

Le bien commun et la paix sociale : 218-237

Le dialogue social comme contribution à la paix : 238-241 

QUE CONCLURE ? 

Voilà un pape qui ne se prend pas pour un autre, mais tout simplement pour un humain sans autres prétentions que celle de partager sa compréhension de la mission de l’Église et du monde dans lequel nous vivons. Un pape, plutôt conservateur dans sa doctrine, qui doit inévitablement se faire violence pour être fidèle aux impératifs évangéliques, pour exiger de l’Église une véritable conversion et pour dénoncer ce système économique et financier qui impose ses lois du marché et de la spéculation financière à l’humanité entière. 

Pour le pape François, la conversion de l’Église se réalisera en revenant à l’essentiel du message évangélique et en étant et en vivant avec les pauvres. Là, elle retrouvera son âme et la liberté de l’Esprit pour accompagner avec amour les hommes et les femmes de notre temps. Tout le reste (doctrines, structures, droits canonique, hiérarchies, sacrements, cultes) devra s’ajuster à ces trois références pastorales incontournables : l’évangile, les pauvres, l’accompagnement. 

Une exhortation apostolique qui n’a pas fini de faire jaser.


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