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De l’humanitaire à l’espionnage … « la petite ligne rouge »

Auteur : Gérard Luçon | Editeur : Walt | Samedi, 10 Oct. 2020 - 09h45

Sophie Pétronin vient d’être libérée, après 4 années de "détention” (2016-2020). Cette franco-suisse s’était apparemment fortement attachée au Mali et à la ville de Gao. J’ai personnellement connu cette ville dans la période 1987-2005 et son célèbre Hôtel de l’Atlantide où oeuvrait une Dame de compagnie manchote… Il y avait une petite cour intérieure entourée de hauts murs et de barbelés et dans laquelle nous pouvions garer nos véhicules de façon à ne pas être victimes de "visiteurs nocturnes” car la ville, accueillante et bienvenue après la traversée du Tanezrouft et l’Adrar des Ifoghas, attirait aussi les voleurs.

(photo de La Manchotte)

En janvier 2013 notre Président "conquérant” envoie notre armée sauver le Mali des djihadistes, il s’y rendra même en visite et héritera d’un jeune chameau, apparemment sa seule conquête africaine, qu’il négligera et qui finira mangé par ses gardiens. C’est donc 3 ans et demi plus tard, alors que notre armée est fortement présente à Gao, que cette humanitaire est enlevée! Cela me rappelle ce petit jeu de mots dans le film "Good Morning Viet-Nam”: pacifier, faut pas s’y fier

Cette libération, négociée au moment où le Mali est dirigé par une "junte”, semble  avoir été l’objet de sérieuses négociations puisque, au même moment, on apprend qu’une centaine de "djihadistes” sont libérés, et qu’outre l’humanitaire, l’opposant Soumaïla Cissé a aussi été libéré

On apprend également qu’entre au gouvernement de transition la "Coordination des Mouvements de l’Azawad” (2 ministères) et que la CEDEAO a suspendu ses sanctions contre le Mali pour valider cette étape vers le retour à l’ordre constitutionnel.

Indépendamment de ces tractations diverses, il en est peut-être d’autres dont nous ne connaitrons pas le contenu, toujours est-il que cette dame est libérée, ce qui change un peu de nos graves problèmes précédents, que ce soit l’opération de nos Commandos Hubert au Burkina Faso ou cette attaque contre des humanitaires devenus pour une journée touristes dans un parc à girafes près de Bamako.

Petite approche de l’action humanitaire:

Au début il y a eu des précurseurs, des humanistes, des "fêlés”, ainsi Jean Baptiste Richardier et Claude Simonnot ont créé Opération Handicap International, pour ne citer qu’eux dans cette première génération d’humanitaires, et parce que je les ai connus et ai été Directeur des programmes pour H.I. en Roumanie, pendant près de 5 années.

Le développement des ONG a été rapide et médiatisé, elles se sont implantées presque partout où existaient des conflits, des famines, des catastrophes, elles ont attiré de l’argent, des sponsors, le soutien de certains états. Dans la foulée certaines d’entre elles se sont "politisées” voire ont été créées par des états dans des buts autres que l’humanitaire au sens strict.

Dès lors une nouvelle génération d’humanitaires s’est développée, ceux qui le faisaient parce que c’était devenu un créneau professionnel, et aussi petit à petit ceux qui y étaient "envoyés” ou pour qui on avait créé la fonction, le poste, la mission … je ne parlerai pas outre mesure des pédophiles et des trafiquants d’enfants qui se font prendre ici et là, c’est un autre débat, à mon sens, car il touche toutes les professions y compris des magistrats en France!

Il faut dire, et là je parle de mon exemple, que quand on arrive dans un pays comme patron d’une grande ONG on a le tapis rouge qui est déroulé par le gouvernement du pays, par l’Ambassade, on est invité, sollicité par les médias, bref on a très rapidement accès à des niveaux particuliers d’information tels les réunions sécurité de l’Ambassade, les groupes de travail (ilotiers par exemple) pour évacuation éventuelle des expatriés en cas d’incident nucléaire, de tremblement de terre, etc … Par ailleurs comme j’étais en poste à Bucarest au moment de la campagne contre les mines anti-personnel, j’ai été reçu par la Présidence pour discuter de la signature du traité par la Roumanie, ce qui a été obtenu peu après. Jacques Chirac vient rendre visite à son homologue Emil Constantinescu, je suis invité, la patronne locale de Médecins du Monde également; Brigitte Bardot vient rencontre l’Ambassadeur de France et le maire de Bucarest, Traian Basescu, je suis là encore invité. Les gens me voient, voient qui je cotoye, et certains n’hésitent pas à me contacter pour me demander de les aider pour rencontrer "X” ou "Y”; c’est humain, c’est une méthode connue, et c’est piégeant, bien entendu! Bien évidemment mon poste attire aussi une frange, restreinte certes, d’individus qui aimeraient bien savoir ce qui se fait, ce qui se passe, ce qu’on entend et apprend, qui est qui …

De cette expérience personnelle, j’ai aussi travaillé au Sénégal et en Chine, j’en ai déduit que certains créneaux professionnels, en l’occurence l’humanitaire, sont des sésames; alors que des services de renseignement y envoient des gens, leurs gens, est presque normal … vicieux mais normal! Et qu’ensuite on se retrouve avec des jeunes égorgés ici ou là, c’est le prix à payer pour cette déplorable méthode qui a un effet pervers, à savoir la dévalorisation de l’humanitaire en général et la déstabilisation potentielle voire la mise en danger de tous les humanitaires, quels qu’ils soient et où qu’ils soient …

Les deux dernières opérations/drames connus sont les suivants:

2019: le Commando Hubert au Burkina Faso:

Pour mémoire un "couple” de touristes fançais en goguette l’an dernier dans le nord du Bénin (parc National de la Pendjari puis parc National du "W” proches du Niger et du Burkina, donc une zone de toutes les couleurs de sécurité qu’on veut bien nous présenter, mais en aucun cas une Zone Verte!) est enlevé et le groupe se dirige (selon les autorités françaises) vers le Burkina et  rejoint, par le plus grand des hasards, deux employées de la CIA!

Sur le plan ci-après sur lequel jai entouré les divers lieux (Fada Ngourma, les deux Parcs Nationaux et la réserve de girafes de Kouré)  il m’est difficile de croire que les kidnappeurs avaient comme but le Burkina et non pas le Niger, en se dirigeant du "Pendjari” vers le "W”.

Les USA sont présents dans cette sous-région toutefois ils font appel à nous pour organiser une opération conjointe, ce qui nous a coûté 2 commandos Hubert et le guide béninois du couple de français … je cite "Two female CIA assets, a U.S and South Korean nationals were kidnapped in a Sahel Country and not a single Government or media reported the information. They were freed on 10 May 2019 during a joint U.S-French Special Operation in Northern Burkina Faso. The raid was spearheaded by French Navy Special Forces, mainly the Hubert Commando”. (sources: Strategika et olivierdemeleunaere).

9 août 2020 : 8 morts dans un parc à Girafes, au Niger :

Le Niger, comme le Burkina Faso et le Mali sont en proie à de graves exactions menées tant par des "djihadistes” que lors de règlements de compte entre ethnies; 2 jours avant l’exécution de ces jeunes humanitaires, donc le 7 août, c’est un marché de la commune de Fada N’Gourma qui est attaqué, au nord du Parc National de la Pendjari et de l’autre côté de la frontière nigérienne.

Les victimes française, excepté le chauffeur du véhicule et le guide, sont des humanitaires de la "nouvelle génération” ayant décidé de profiter d’une journée de repos pour visiter le célèbre Parc à Girafes de Kouré; ils appartiennent à l’ONG Acted, basée en France, une ONG sachant glaner des fonds y compris au niveau des Etats, des institutions internationales et de certains mécènes …

Rapidement les CV des victimes sont en partie divulgués et on y découvre une ancienne de l’Ambassade de France à Lagos, une ancienne militaire ayant aussi été en poste à Bangui en République Centrafricaine dans le cadre d’une mission militaire européenne, rien que ça !!! Bernard Lugan (auteur d’un livre: de la colonisation philanthropique à la recoloniation humanitaire, Collection "Gestes”) écrit ceci au sujet de cet événement, chose que je peux également confirmer: "La zone de l’embuscade est située au Niger, hors périmètre opérationnel actuel de Barkhane, dans une zone connue de repos et de transit des groupes terroristes. Il est donc pour le moins inconcevable que des irresponsables locaux aient autorisé des ONG à s’y aventurer…pour y observer des girafes”.

Il me parait assez évident que ces informations sur les humanitaires/ex-militaires ont été ébruitées et que la version "des individus en mobylette ont passé les contrôles et les points de surveillance vidéo” ne tient pas debout! C’est un peu comme nos deux hélicoptères qui se seraient heurtés à l’est de Gao, nous coûtant 13 militaires; c’est tellement plus simple de mettre la responsabilité sur le dos des pilotes plutôt que de reconnaitre que les "terroristes” sont bien équipés notamment avec des sol-air entre autres de fabrication russe, avec des moyens d’intercepter les communications…

Concernant ce qu’a écrit B. Lugan, je me permets d’apporter quelques précisions liées à mon expérience personnelle et au rôle de nos ambassades:

2004, Tombouctou n’était pas en zone rouge (ni orange), et je dirige un raid de solidarité qui doit rejoindre cette ville en venant du Maroc via la Mauritanie. Deux collègues roumains, dont un journaliste, Adrian Ursu (Antena 3), doivent nous rejoindre par avion à Nouakchott; à leur descente l’officier français de la sécurité en poste à l’Ambassade les attend et leur demande où je suis! Sa mission? Me faire savoir qu’il y a des bandes armées entre Néma, Tilemsi et Tombouctou donc ne pas prendre le trajet prévu … j’ai quand même rejoint Tombouctou mais via Mopti et Konna !

Comme ancien humanitaire je peux affirmer au moins 2 choses: l’une, que nos consignes de sécurité étaient draconiennes et on n’allait pas faire du tourisme en zone à risque (la totalité du Niger, du Burkina Faso et du Mali sont actuellement des zones à risque); l’autre que nos Ambassades sont très frileuses sur la sécurité, mais elles étaient et sont toujours très au point pour informer les ressortissants des dangers encourus ..

Il reste une chose, cette Dame Pétronin, qui apparait faire partie de la génération humanitaire des aventuriers et des précurseurs, est libre, pour une fois la fin semble "heureuse”, et si les ravisseurs ne l’ont pas exécutée c’est probablement parce qu’elle était réellement ce qu’elle disait être !

Photo d'illustration: En route vers Tombouctou, 2004


- Source : Agoravox

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