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La Turquie, victime d'un complot international ou fauteur de troubles?

Auteur : Alexandre Lemoine | Editeur : Walt | Vendredi, 21 Août 2020 - 16h28

« Attention ! On veut prendre la Turquie en étau dans un espace de plus en plus vaste ! », met en garde le journal Habertürk. En effet, la situation géopolitique actuelle de ce pays pourrait se présenter sous cet angle. Les problèmes se multiplient sur plusieurs plans, le principal étant une hausse de tension continuelle en Méditerranée orientale.

Tout le monde s’est habitué depuis longtemps aux frictions gréco-turques en mer Égée, mais depuis la découverte d’importantes réserves de gaz sur le plateau de plusieurs pays méditerranéens, ces frictions ont dégénéré en conflits dépassant le cadre de l’Égéide.

Afin de délimiter les sphères d’intérêt et d’exploiter les ressources de concert, en janvier 2019, l’Égypte, Israël, Chypre, l’Italie, la Jordanie et la Palestine ont créé un forum des pays de la Méditerranée orientale pour l’exploitation de gaz. La Turquie n’y a pas été invitée et elle a alors décidé d’entamer des travaux sur le plateau qui est considéré par Chypre et la Grèce comme leur zone économique exclusive (ZEE). Ankara balaye les objections et les plaintes se référant à l’accord conclu fin 2019 avec le Gouvernement d’unité nationale de Tripoli, conformément auquel la Turquie et la Libye ont unilatéralement « acquis » une immense ZEE du Levant à la Tunisie.

Quand, en juillet, la Turquie en envoyé le navire de recherche Oruç Reis au large de l’île de Kastellorizo, les autorités grecques ont déclaré qu’elles n’avaient plus l’intention de tolérer les violations de leur souveraineté, et les forces armées des deux pays sont passées en état opérationnel. De plus, le 6 août, la Grèce et l’Égypte ont signé un accord de délimitation des frontières maritimes, c’est-à-dire sur « leur propre » délimitation de la ZEE, qui a partiellement coïncidé avec la ZEE turco-libyenne. Ankara a lancé des exercices navals, Athènes a fait de même avec la participation de la marine française.

Quand deux avions français ont passé près du navire de recherche turc, et une frégate grecque est tombée sur une turque, le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé de réagir à toute attaque contre l’Oruç Reis et les navires de guerre qui l’accompagnent. De son côté, le président français Emmanuel Macron a déclaré que les navires français resteraient en Méditerranée orientale après les exercices. Après quoi le dirigeant turc a accusé son homologue français d' »ambitions coloniales ».

Il faut dire que l’Otan se distance du conflit entre ses trois membres, alors que l’UE se limite aux discussions sur le problème et à une critique modérée des actions d’Ankara. Comme en témoigne notamment la réunion extraordinaire en visioconférence des chefs de diplomatie des pays de l’UE ce 14 août à l’initiative d’Athènes. Les ministres ont évoqué la confrontation entre la Grèce et la Turquie, sans déboucher pour autant sur un résultat, et sont convenus seulement de revenir sur ce problème au sommet de l’UE à la fin du mois.

Le 13 août, les adversaires de la Turquie, Israël et les Émirats Arabes Unis, qui lui font face sur le front libyen, ont annoncé la signature prochainement d’un accord sur la normalisation des relations. Les deux pays comptent ouvrir sous peu des ambassades. Le conseiller de Donald Trump, Jared Kushner, a parlé d’une « forte probabilité » de la signature d’un accord de paix entre Israël et un autre pays arabe (qui serait le quatrième après la Jordanie, l’Égypte et les EAU).

Ensuite, fin juillet, le parlement égyptien a approuvé l’envoi des forces armées « en mission en dehors de l’Égypte » afin de protéger la sécurité du pays en Libye contre « les groupes criminels et les terroristes étrangers », ce qui fait certainement référence aux forces turques et à leurs proxys syriens.

L’Irak, qui inonde depuis longtemps Ankara de notes de protestation contre l’opération incessante des forces turques sur son territoire, a annulé la visite du ministre turc de la Défense suite à l’assassinat de militaires irakiens par un drone turc. Sachant que la Ligue arabe a annoncé immédiatement qu’elle soutiendrait toutes les contremesures de Bagdad. La dégradation des relations entre la Turquie et le monde arabe est flagrante, et l’alliance avec le Qatar qui fronde contre l’Arabie saoudite ne changera pas les choses.

En parallèle commence un nouveau cycle de tension dans les relations américano-turques. En juin, avec la médiation des États-Unis, le parti des Kurdes syriens Union démocratique, jugé terroriste par Ankara, et le Conseil national kurde de la Syrie sous le parrainage de clan de Massoud Barzani, ont signé un accord politique global sur la coordination des actions. De cette manière, les États-Unis ont laissé entendre que leurs projets relatifs aux Kurdes ne se limitaient à la Syrie. D’autant que ces plans sont manifestement à long terme : les autorités kurdes et la compagnie américaine Delta Crescent Energy LLC ont récemment signé un accord sur la reconstruction du système de production pétrolière au nord-est de la Syrie. Inutile de parler de la réaction d’Ankara qui a accusé les Américains de financer le terrorisme.

Et pour couronner le tout, il a été annoncé en août que quatre membres du congrès américain avaient gelé pendant deux ans les principaux contrats d’armement entre Washington et Ankara. L’administration Trump, globalement neutre envers la Turquie en la matière, garde pour l’instant le silence, ce qui irrite Ankara.

Bien sûr, tous ces événements ne doivent pas être perçus comme les signes d’un complot antiturc international. Simplement l’hyperactivité d’Ankara en politique étrangère fait dissonance avec les intérêts d’un nombre de plus en plus grand d’acteurs.

Tandis que le président turc continue de se positionner en tant que leader national qui défend fermement les intérêts du pays sans craindre qui que ce soit et qui ne fait jamais marche-arrière. À l’exception de l’incident concernant l’avion russe abattu. Recep Erdogan ne peut plus se permettre de « montrer sa faiblesse », il doit continuer de correspondre à l’image appréciée par son électorat.

Au final, le « facteur turc » gagne en poids dans les relations régionales, mais l’intransigeance d’Ankara pourrait avoir des conséquences négatives : le changement de la ligne en politique étrangère devient de plus en plus nécessaire pour nombre de raisons, intérieures et extérieures. Et les opposants sensés du président en parlent de plus en plus forts.


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