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Le cas de Julian Assange met en lumière l’hypocrisie britannique en matière de liberté de la presse

Auteur : Peter Oborne | Editeur : Walt | Lundi, 25 Mai 2020 - 09h28

L’accusation américaine contre le fondateur de Wikileaks, si elle aboutit, aura des conséquences terribles pour la presse libre.

L’un des défauts politiques les plus répugnants est l’hypocrisie. Les politiciens disent une chose, puis font le contraire. Cela laisse un mauvais goût dans la bouche et jette le discrédit sur la vie publique.

Le ministre britannique des affaires étrangères, Dominic Raab, en est un bon exemple. Dimanche, nous avons eu un sinistre exemple de son double langage. Il a déclaré qu’il soutenait la liberté d’expression. "Des médias forts et indépendants", a déclaré le ministre des affaires étrangères, "sont plus importants que jamais".

Des mots magnifiques à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Si seulement le ministre britannique des affaires étrangères avait été sincère. Pendant que Raab défendait la liberté d’expression, son collègue Oliver Dowden menait la dernière attaque du gouvernement contre la BBC.

Menaces envers les médias

Dans un geste empreint de menace, M. Dowden a envoyé une lettre au directeur général de la BBC, Tony Hall, se plaignant du documentaire Panorama de la semaine dernière qui exposait les pénuries d’équipements de protection individuelle (EPI) et exprimait la crainte que les travailleurs de la santé ne meurent du virus Covid-19.

Avec son gouvernement qui menace les médias au sujet du coronavirus au Royaume-Uni, il n’est pas surprenant que le ministre des affaires étrangères n’ait rien eu à dire sur le fait que l’Égypte a expulsé une journaliste du Guardian en mars après qu’elle ait fait un reportage sur une étude scientifique qui disait que le pays était susceptible d’avoir beaucoup plus de cas de coronavirus que ce qui a été officiellement confirmé.

C’est un porte-parole du ministère des affaires étrangères qui a fait cette déclaration : "Le Royaume-Uni soutient la liberté des médias dans le monde entier. Nous avons exhorté l’Égypte à garantir la liberté d’expression. Les ministres britanniques ont évoqué ce cas avec les autorités égyptiennes".

Le ministre des affaires étrangères n’a rien dit non plus sur le sombre rapport d’Amnesty, publié hier, qui révèle que des journalistes égyptiens sont jetés en prison et accusés de terrorisme pour avoir fait des reportages qui dérangent le régime du président Abdel Fattah el-Sisi.

L’Arabie Saoudite, un allié britannique, a emprisonné 26 journalistes rien que l’année dernière. Le ministère des affaires étrangères a-t-il eu quelque chose à dire ? Si oui, je n’en trouve pas trace. Pas étonnant que la Grande-Bretagne soit tombée à la 35e place sur 180 pays dans le classement mondial des libertés de Reporters sans frontières pour 2020.

La semaine dernière, le ministre des affaires étrangères a affirmé que le Royaume-Uni "reste attaché à la liberté des médias" pendant la crise du coronavirus. Malheureusement, c’est faux. Rien ne montre plus la vacuité de ces affirmations que la façon dont le gouvernement britannique a traité l’affaire Julian Assange.

La vérité macabre

Le fondateur de Wikileaks continue de pourrir dans la prison de Belmarsh alors que les États-Unis demandent son extradition pour espionnage. S’il y avait une once de sincérité dans l’affirmation du ministre des affaires étrangères selon laquelle il est un partisan de la liberté des médias, il résisterait de toutes ses forces à la tentative des États-Unis de mettre la main sur Assange.

Il n’y a pas la moindre suggestion qu’il fasse cela. Comme l’a souligné Human Rights Watch, les autorités britanniques ont le pouvoir d’empêcher toute poursuite américaine d’éroder la liberté des médias. La Grande-Bretagne n’a jusqu’à présent - du moins - montré aucun désir d’exercer ce pouvoir. Malheureusement pour Raab, le véritable crime d’Assange est de faire du journalisme.

Je n’ai jamais rencontré Assange. Certaines personnes que je connais et que je respecte disent qu’il est vaniteux et difficile. Je les crois. Il est cependant indéniable qu’Assange a fait plus que tous les autres journalistes britanniques réunis pour faire la lumière sur la façon dont le monde fonctionne vraiment.

Par exemple, grâce à Assange, nous sommes maintenant au courant de nombreuses violations, dont les échanges de votes entre la Grande-Bretagne et l’Arabie Saoudite pour s’assurer que les deux États soient élus au Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2013 ; les liens entre le Parti National Britannique fasciste et les membres de la police et de l’armée ; les détails horrifiants concernant les civils tués par l’armée américaine en Afghanistan.

Et les tireurs d’hélicoptères américains qui ont tué des civils non armés en Irak, dont deux journalistes de Reuters, en riant. Un incident sur lequel l’armée américaine a menti, prétendant au départ que les morts étaient tous des insurgés.

Je pourrais continuer encore et encore. Vanity Fair a qualifié la publication des articles d’Assange de "l’un des plus grands scoops journalistiques des trente dernières années". Et c’est ce qui s’est passé. Ce n’était pas de l’espionnage, comme le prétendent les États-Unis. C’était du journalisme.

Le journalisme n’est pas un crime

Les autorités américaines ne cherchent pas à mettre la main sur Assange parce que c’est un espion. Ils le veulent derrière les barreaux pour son travail de journaliste.

C’est pourquoi les conséquences sont si terribles si la Grande-Bretagne cède à la demande d’extradition américaine et permet à Assange d’être jugé aux États-Unis. Et pas seulement pour Assange, qui risque une longue peine de prison (jusqu’à 175 ans) dont il ne sortira presque certainement jamais.

Nous ne devons pas nous faire d’illusions. Si elle aboutit, l’inculpation américaine contre Assange aura des conséquences terribles pour la presse libre.

Selon l’ancien rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, les accusations ressemblent à une tentative de "criminaliser les choses que font régulièrement les journalistes lorsqu’ils reçoivent et publient des informations véridiques qui leur sont données par des sources ou des dénonciateurs. Assange est accusé d’avoir tenté de persuader une source de divulguer encore plus d’informations secrètes. La plupart des journalistes feraient de même. Il est ensuite accusé d’un comportement qui, à première vue, ressemble à celui d’un journaliste cherchant à aider une source à protéger son identité. Si c’est bien ce que faisait Assange, tant mieux pour lui".

Pourtant, les journaux britanniques ne se battront pas pour Assange. Qu’ils soient de gauche ou de droite, d’information ou de ragots, les journaux britanniques sont d’accord sur une chose : ils se bousculeront pour obtenir le dernier communiqué officiel sur le Premier ministre britannique Boris Johnson et le bébé de sa fiancée Carrie Symonds. Ou le nouveau chien de Downing Street.

Mais ils fermeront les yeux lorsqu’il s’agira de défendre la liberté de la presse et Julian Assange.

Le journalisme clientéliste

Comme c’est pathétique. Quelle trahison de leur métier. Le journalisme clientéliste. Une inversion de ce que représentent les journaux. Si le ministre britannique des affaires étrangères a une double vision de la liberté de la presse, il en va de même pour les rédacteurs en chef des journaux britanniques qui disent se soucier de la liberté de la presse. Avec encore moins d’excuses.

Pour être juste, ce n’est pas tant qu’ils ne s’opposent pas à l’extradition d’Assange. C’est plutôt qu’ils ignorent presque complètement l’une des plus puissantes menaces à la liberté de la presse des temps modernes.

S’ils s’en souciaient, ils feraient campagne pour garder Assange hors des griffes des États-Unis. En attendant, des médecins avertissent que la santé d’Assange est si mauvaise qu’il pourrait mourir dans la prison de Belmarsh.

Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, a exprimé de vives inquiétudes quant aux conditions de sa détention, déclarant que "l’arbitraire flagrant et continu dont font preuve à la fois le pouvoir judiciaire et le gouvernement dans cette affaire suggère un écart alarmant par rapport à l’engagement du Royaume-Uni en faveur des droits de l’homme et de l’État de droit. C’est un exemple inquiétant, qui est encore renforcé par le récent refus du gouvernement de mener l’enquête judiciaire tant attendue sur la participation britannique au programme de torture et de restitution de la CIA".

Kenneth Roth, de Human Rights Watch, a sobrement fait remarquer, à propos de l’affaire Assange, que "nombre des actes détaillés dans l’acte d’accusation sont des pratiques journalistiques habituels à l’ère du numérique. La façon dont les autorités britanniques répondront à la demande d’extradition des États-Unis déterminera la gravité de la menace que cette poursuite fait peser sur la liberté des médias dans le monde".

Alors qu’Assange pourrit à Belmarsh, comment le ministre britannique des affaires étrangères ose-t-il abuser de son poste en prétendant se soucier de la liberté de la presse !

J’applaudis un dispositif comme la Journée mondiale de la presse. C’est une façon de penser à tous les journalistes du monde entier qui souffrent personnellement pour leur profession, par la répression, la prison, la torture et la mort. Tout simplement parce qu’ils ont fait leur travail en révélant des faits gênants.

Lorsque nous pensons à la répression des journalistes, nous évoquons automatiquement des pays étrangers - l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie, l’Egypte. Cependant, nous évoquons ou nous nous souvenons rarement de nos propres dissidents.

Julian Assange est l’un d’entre eux.

L'auteur, Peter Oborne, a remporté le prix du meilleur commentaire/blogging en 2017 et a été nommé freelance de l’année en 2016 lors des Online Media Awards pour ses articles écrits pour Middle East Eye. Il a également été nommé Chroniqueur de l’année 2013 aux British Press Awards. Il a démissionné de son poste de chroniqueur politique en chef du Daily Telegraph en 2015.

Traduction par VD pour le Grand Soir


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