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Le FMI ne combat pas les incendies financiers, il met de l’huile sur le feu

Auteur : Vijay Prashad | Editeur : Walt | Dimanche, 20 Oct. 2019 - 18h17

Les rues de Quito tremblent entre les aspirations et la répression. L’odeur du gaz lacrymogène et les cris de liberté se répercutent de la même façon d’un point à un autre de la ville. L’état d’urgence du président Lenín Moreno (3 octobre) et le couvre-feu (12 octobre) donnent plus d’autorité aux hommes armés mais malgré les centaines de manifestants blessés et au moins 5 morts, la violence n’a pas brisé l’enthousiasme de la rue. Les protestations continuent. Les possibilités de Moreno vont rapidement s’épuiser. L’oligarchie et le fonds Monétaire International (FMI) -avec un clin d’oeil de la Maison Blanche – pourraient lui demander de démissionner. Ils veulent que leur partenaire soit crédible.

Le 13 octobre, Moreno a dû promettre de retirer le Décret 833. La pression de la rue, les Nations Unies et la conférence Épiscopale Équatorienne l’ont forcé à s’asseoir à la table autour de laquelle s’est déroulée une conversation télévisée. Les dirigeants indigènes ont gagné le « débat, » ils étaient bien mieux préparés et ont été beaucoup plus humains que le président et ses stupides ministres. Moreno et son équipe – la ministre du Gouvernement María Paula Romo et le ministre de la Défense Oswaldo Jarrín – ont quitté la salle pour une pause et ont cédé. C’est une victoire du peuple. Mais maintenant, Moreno doit aller au FMI. Quelle pression exercera-t-il sur lui ? La bataille continue.

La direction du FMI se réunit à Washington DC pour sa réunion annuelle. La nouvelle directrice du fonds est Kristalina Georgieva, une Bulgare qui travaillait à la Banque Mondiale. Dans « Perspectives de l’Economie Mondiale, » publié en juillet par le FMI, on estime qu’en 2019, la croissance sera de 3,2%. En 2017, elle était de 3,8% et en 2018, de 3,6%. Pour rester optimiste – avec peu de raisons – le Fonds estime que la croissance mondiale sera de 3,5% en 2020. Mais Georgieva et ses associés à la direction du Fonds savent que les choses sont beaucoup plus sombres. « La croissance économique mondiale continue de décevoir, » dit récemment Georgieva. Les guerres commerciales et les hauts niveaux de dette contribuent à aggraver une crise générale du capitalisme.

Le nouveau Rapport sur le Commerce et le Développement (2019) de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD), publié fin septembre, dit qu’il est plus que probable qu’une récession se produise en 2020. Ces dernières années, le taux de croissance a été soutenu par « des coupes fiscales ponctuelles et des déficits insoutenables aggravés par une accumulation rapide de positions de dettes privées, en particulier dans le secteur de l’entreprise. » Par conséquent, « les chiffres du chômage cachent les problèmes d’emplois précaires et de travailleurs découragés. » Si on ajoute à cela « la perturbation des chaînes de fourniture, a volatilité des flux de capital et l’augmentation des prix du pétrole, » il paraît inévitable « qu’ avec ces tendances, il semble probable qu’un ralentissement ou même une récession se produise. »

Le FMI ne peut rein faite. Il a une dette envers les États-Unis dont il espère recueillir environ 1 000 000 000 de dollars pour sa réserve. Les États-Unis continuent à dominer le FMI. En 2015, le FMI a publié une étude sur son personnel qui argumentait contre « l’économie centrée sur l’offre » et suggérait que la politique qui propose des baisses des impôts et des coupes dans les budgets ne menaient pas à l’utopie. Par contre, écrivent les auteurs, les baisses des impôts et des coupes dans les budgets produisent des résultats dont les bénéfices « ne fuient pas. » Les implications de cette étude n’ont pas pénétré dans les étages élevés du FMI ni dans le bureau du gérant général ou de la direction. Ses propres économistes ne sont pas aussi importants que les chuchotements venus du département des finances étasunien ou de la Maison Blanche.

A la fin de l’année dernière, le Réseau Européen sur la Dette et le Développement (EURODAD), a publié une importante étude sur les conditions des prêts du FMI et sur leur impact sur le service de santé. L’auteur – Gino Brunswijck – observe les prêts accordés par le FMI à 26 pays entre 2016 et 2017. Dans 20 de ces pays, « les gens se sont mis en grève ou sont sortis dans la rue pour protester contre les coupes budgétaires du Gouvernement, la hausse du coût de la vie, la restructuration des impôts et les réformes salariales fixées comme conditions par le FMI » pour accorder un prêt. Depuis que cette étude est sortie, les peuples de l’Argentine, de la République Tchèque , de l’Équateur, de l’Égypte, de Haïti, de la Jordanie, du Maroc, du Pakistan, du Soudan, de la Tunisie sont sortis dans la rue. Ils n’ont pas le choix : ou ils protestent ou ils ont faim.

Plusieurs points de cette étude méritent réflexion :

Ces dernières années, les prêts du FMI sont accompagnés d’un nombre croissant de conditions d’ajustement structuraux. Entre 2017 et 2018, la moyenne des conditions pour un prêt était de 26,8, entre 2011 et 2013, elle était de 19,5.

Il y a aussi une série de conditions « cachées » qui se trouvent habituellement dans les documents annexes.

Une fois que les accords du prêt sont signés, le FMI revient et ajoute d’autres conditions à ce prêt.

Sur les 26 prêts étudiés, 23 exigeaient une « consolidation fiscale, » ce qui signifie que les Gouvernements sont forcés de restreindre leurs dépenses. En d’autres termes, le FMI impose son autorité à ces pays.

La plupart des pays qui ont fait appel au FMI étaient des « débiteurs récurrents, » ce qui signifie que les prêts du FMI ne résolvent pas leurs problèmes mais les exacerbent. Le fonds n’a rien fait pour résoudre l’insolvabilité structurelle de ces Gouvernements et par contre, leur a fait contracter une dette insoutenable.En 2013, une étude du FMI a admis qu’à cause de l’accord avec la Grèce en 2010, « la confiance sur le marché n’a pas été rétablie, le système bancaire a perdu 30% de ses dépôts et l’économie a affronté une récession beaucoup plus profonde que ce qu’on attendait avec un chômage exceptionnellement important. » Les demandes du Fonds n’ont fait qu’aggraver les problèmes de la Grèce mais cette leçon n’a pas été apprise.

Enfin, le FMI a exigé de l’austérité de la part de pays en développement même en temps de crise, sachant bien que c’est le moment dans lequel il est important que les Gouvernements investissent pour stimuler l’économie déprimée. D’autre part, des pays au capitalisme avancé ne se préoccupent pas des demandes du FMI. L’économiste français Cédric Durand estime qu’entre l’automne 2008 et le début de 2009, ces États ont engagé 50,41% du PIB mondial pour soutenir le secteur financier. Il n’y a jamais eu une telle générosité pour soutenir les secteurs pauvres qui constituent la grande majorité de la population de la planète.

Camouflée sous des phrases du FMI comme « forger un contrat social plus fort » vient la vieille tendance de l’austérité pour les pauvres, et de la générosité pour les riches. L’accord entre le FMI et l’Équateur appelait instamment le Gouvernement de Moreno à baisser les salaires et à renvoyer 140 000 employés du secteur public tandis que le prix de l’énergie et les tarifs des services de l’État augmenteraient. Les riches ne paieraient pas le prix. L’argent dépensé pour payer les galons de gaz lacrymogène et l’équipement de la police anti-émeute pourrait facilement être utilisé pour payer les servies de santé et d’éducation. Le “contrat social” que le FMI construit dans chaque pays n’est pas bâti sur les relations de la société mais grâce aux barricades des protestations et à la répression.

Chaque chef du FMI arrive à son poste avec un agenda différent. Christine Lagarde voulait stimuler l’égalité de genre, ce qui signifiait – pour Lagarde et le FMI – augmenter le nombre de femmes dans la force de travail. Dans l’un des articles écrits par le personnel du FMI, les chercheurs ont signalé que cela ne serait possible que si les pays investissaient dans des infrastructures (comme le transport public), encourageaient l’égalité des droits pour les femmes (avec des lois égalitaires sur l’héritage et sur la propriété) et l’accès à des services de garderie abordables. Mais la plupart des accords pour avoir un prêt du FMI exigent des coupes dans les infrastructures publiques et dans les services de garderie et de santé. La politique du FMI, en fait, va contre l’ordre du jour déjà limité de Lagarde.

Lagarde, qui concourt pour être la têt de la Banque Centrale Européenne, ferait bien d’écouter Ofelia Fernández, la militante argentine de 19 ans qui se présente au poste de gouverneur Buenos Aires. Ofelia ne veut pas définir sa politique de façon étroite. Le mois dernier, elle me disait que le féminisme devait aborder tous les sujets dans une perspective féministe, ne pas permettre d’être réduite à « des choses de femmes » qui sont en elles-mêmes, comme elle le dit « des choses de tout le monde. » Dans les secteurs les plus pauvres d’Argentine, des organisations sont nées pour lutter contre le résultat de la crise. La faim est quelque chose de sérieux, en particulier la faim des enfants. La plupart des dirigeants de ces organisations populaires, dit Ofelia, sont des femmes. Leur lutte concernant l’économie des soins et contre l’austérité doit aussi être vue comme une lutte féministe. La lutte contre la faim, dit Ofelia, est aussi féministe.

Georgieva arrive à son poste avec le désir d’affronter les « risques climatiques » et d’encourager un changement urgent vers un système énergétique post-carbone. Sa politique consisterait à faire des coupes dans les subventions de l’énergie et à augmenter les impôts sur le carbone. Une étude récente du FMI montre que les prix de l’essence et de l’énergie domestique devraient augmenter de façon dramatique pour limiter le réchauffement climatique. Ce que nous avons ici, c’est une austérité avec un emballage d’environnement. Au lieu d’encourager une politique d’impôts dégressifs pour les pauvres, le FMI pourrait encourager à instaurer un prix plus élevé du transport public et une transition de l’énergie basée sur le carbone vers des énergies plus soutenables. Mais ce n’est pas dans le caractère du FMI. Ses grandes lignes sont les politiques néolibérales et l’austérité.

Le titre de cet article ne vient pas d’un poète radical, il vient du Wall Street Journal. Pendant la crise asiatique de 1998, le WSJ a publié un éditorial qui disait que le FMI « n’a pas combattu les incendies financiers mais a mis de l’huile sur le feu. » Le FMI verse la première goutte d’huile.

Les peuples veulent arrêter ces flammes.

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos


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