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Vendredi, 29 Mars 2024

Le FMI nuit aux pays qu’il prétend aider

Auteur : Mark Weisbrot | Editeur : Walt | Mardi, 10 Sept. 2019 - 22h09

Quand les gens pensent aux dommages que les pays riches – généralement dirigés par les États-Unis et leurs alliés – causent aux populations du reste du monde, la première chose qui leur vient à l’esprit est sûrement la guerre. En Irak, des centaines de milliers de personnes sont mortes suite à l’invasion de 2003, et bien d’autres encore à mesure que la région s’enflammait.

Mais les pays riches ont aussi un pouvoir considérable sur la vie de milliards de personnes en contrôlant les institutions de la gouvernance mondiale. L’un d’eux est le Fonds monétaire international. Celui-ci compte 189 pays membres, mais les Etats-Unis et leurs alliés des pays riches disposent d’une solide majorité en matière de droits de vote au sein de l’organisme. La tradition veut que le chef du FMI soit un Européen, et les États-Unis disposent à eux seuls de suffisamment de voix pour opposer leur veto à de nombreuses décisions importantes – bien que les pays riches ne votent presque jamais les uns contre les autres.

Pour voir à quoi ressemble le problème, observons un prêt récemment octroyé par le FMI. En mars, l’Équateur a signé un accord pour emprunter 4,2 milliards de dollars au FMI sur trois ans, à condition que le gouvernement adhère à un programme économique spécifique énoncé dans l’accord. Selon Christine Lagarde, alors directrice générale du FMI, il s’agissait ” d’un vaste programme de réforme visant à moderniser l’économie et à ouvrir la voie à une croissance forte, soutenue et équitable “.

Mais est-ce vraiment le cas ? Le programme prévoit un resserrement considérable du budget national – environ 6 % du PIB au cours des trois prochaines années. (À titre de comparaison, imaginez un resserrement du budget fédéral américain de 1,4 billion de dollars, résultat d’une réduction des dépenses et d’une augmentation des impôts). En Équateur, il s’agira notamment de licencier des dizaines de milliers d’employés du secteur public, d’augmenter les impôts qui pèsent de manière disproportionnée sur les pauvres et de réduire l’investissement public.

Le résultat de cet important resserrement budgétaire sera d’entraîner l’économie dans la récession. Le FMI prévoit une récession relativement modérée jusqu’à l’an prochain, mais elle sera probablement beaucoup plus profonde et plus longue, comme c’est souvent le cas avec les programmes du FMI. Le chômage augmentera – même les projections du programme du FMI le reconnaissent – tout comme la pauvreté.

L’une des raisons pour lesquelles le programme s’avérera probablement bien pire que ce que prévoient les projections du FMI est que celui-ci repose sur des estimations qui ne sont pas crédibles. Par exemple, le FMI prévoit un afflux net du secteur privé étranger dans l’économie de 5,4 milliards de dollars (environ 5 % du PIB) pour 2019-2022. Mais si l’on considère les trois dernières années, il y a eu une sortie de capitaux de 16,5 milliards de dollars (17 % du PIB). Qu’est-ce qui rendrait les investisseurs étrangers soudainement plus enthousiastes à l’idée d’investir leur argent en Équateur ? Certainement pas la récession que même le FMI prévoit.

[Le plan du FMI contient] d’autres suppositions peu plausibles et même certaines résultent d’erreurs comptables, et elles vont malheureusement toutes dans la même direction. Il semble que l’”austérité expansionniste” prévue par le programme – une formule qui ne se matérialise presque jamais – ne fera probablement pas de l’Équateur une exception: il est peu probable que l’économie croisse si la demande globale diminue.

Le programme vise également à remodeler l’économie d’une manière qui, aux yeux de nombreux Équatoriens, pourrait paraître politique. L’autonomie de la Banque centrale sera accentuée, les actifs publics seront privatisés et le droit du travail sera modifié de manière à donner aux employeurs un pouvoir sans entraves sur les travailleurs. Certains de ces changements – par exemple la séparation entre la Banque centrale et les autres instances décisionnelles du gouvernement – rendront la reprise économique encore plus difficile.

Tout cela se déroule sous un gouvernement qui, alors qu’il avait été élu en 2017 sur un programme de continuité, cherche à inverser une décennie de réformes politiques. Pourtant, ces réformes avaient été, selon divers indicateurs économiques et sociaux, couronnées de succès. La pauvreté a été réduite de 38 % et l’extrême pauvreté de 47 % ; les investissements publics – notamment pour les hôpitaux, les écoles, les routes et le secteur énergétique – ont plus que doublé en pourcentage de l’économie. Mais le gouvernement précédent était un gouvernement de gauche qui montrait plus d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis (en fermant, par exemple, la base militaire américaine présente dans le pays).

On peut imaginer la tournure que vont prendre les évènements, alors que le gouvernement de Trump acquiert un énorme pouvoir en Équateur non seulement grâce au prêt de 4,2 milliards de dollars du FMI, mais aussi grâce aux 6 milliards de dollars octroyés par des institutions multilatérales basées à Washington, telles que la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement. (Le montant total représente environ 10 % du PIB annuel de l’Équateur, ce qui équivaudrait à plus de 2,1 billions de dollars aux États-Unis).

En fait, nous n’avons pas besoin d’imaginer grand-chose, puisque le nouveau président, Lenín Moreno, s’est sagement aligné sur la politique étrangère et économique de Trump dans la région. Parallèlement, son gouvernement s’est mis à persécuter son prédécesseur, l’ex président Rafael Correa, avec de fausses accusations lancées l’année dernière (Interpol a d’ailleurs refusé de les faire valoir avec un mandat international. D’autres dirigeants de l’opposition ont fui le pays pour éviter toute détention illégale – c’est le cas de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ricardo Patiño, coupable d’avoir prononcé un discours que l’actuel gouvernement n’a pas apprécié.

Comme Washington contrôle les prises de décisions du FMI pour cet hémisphère, l’administration américaine et le Fonds sont impliqués dans la répression politique ainsi que dans la tentative plus large de reconvertir l’Équateur dans le type d’économie et de politique que Trump et Pompeo voudraient voir, bien qu’il soit clair que la plupart des Équatoriens n’aient pas voté pour ce genre de programme.

Tout cela confirme la nécessité de mener une réforme sérieuse du FMI, en commençant par en faire une institution plus multilatérale que ce qu’elle ne prétend l’être aujourd’hui. Au cours des 20 dernières années, le Congrès des États-Unis – qui doit approuver des augmentations de financement pour le FMI – est intervenu à de rares occasions pour éliminer certains abus. Au début des années 2000, par exemple, des millions d’enfants pauvres en Afrique ont eu accès à l’enseignement primaire et aux soins de santé parce que le Congrès états-unien a rendu impossible pour le FMI et la Banque mondiale le fait d’exiger aux gouvernements de ce continent de taxer les usagers de services fondamentaux – comme elles avaient l’habitude de le faire depuis longtemps.

Dans les prochaines semaines, le FMI choisira très certainement un nouvel Européen aisé et blanc à la tête de l’institution. Les membres progressistes du Congrès [états-unien] qui se soucient de l’impact de la politique étrangère américaine sur le reste du monde, devraient soutenir quelques demandes de réformes au sein de cette institution.

Traduit par Luis Alberto Reygada, Les Crises

Source de l’image en vedette : Pixabay

Note du traducteur :

Le CEPR a réalisé une étude très critique sur l’aide apportée par le FMI à l’Argentine dans un rapport publié fin 2018 : Argentina’s Deal With the IMF: Will “Expansionary Austerity” Work? (Mark Weisbrot et Lara Merling). Un résumé en français de cette étude est disponible sur le site de l’Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Sciences Po).

L'auteur, Mark Weisbrot, est codirecteur du Center for Economic and Policy Research à Washington et président de Just Foreign Policy. Il est également l’auteur de « Failed : Ce que les “experts” n’ont pas compris au sujet de l’économie mondiale ».


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