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France: Alexandre Benalla dans les traces de Jérôme Cahuzac ?

Auteur : Sylvain Rakotoarison | Editeur : Walt | Mardi, 29 Janv. 2019 - 16h32

« Parlez donc peu. Le silence est une arme, la plus efficace de toutes. C’est la lumière bleue du verbe. » (Léon-Paul Fargue, 1952).

Et voici que l’affaire Benalla revient dans l’actualité, au plus mauvais moment pour le pouvoir, lui qui semble avoir réussi à contenir la crise des Gilets Jaunes grâce au lancement du grand débat national. À l’évidence, cette affaire va plomber le quinquennat du Président Emmanuel Macron aussi sûrement voire plus sûrement que l’affaire Cahuzac n’avait plombé celui de son prédécesseur François Hollande.

L’affaire Benalla a explosé une seconde fois à la fin décembre 2018 sur une histoire de passeports diplomatiques complètement surréaliste. Alexandre Benalla (cette fois-ci sans barbe) a été alors auditionné, ce lundi 21 janvier 2019 à 14 heures, une seconde fois par la commission d’enquête du Sénat présidée par le perspicace sénateur Philippe Bas, ancien Secrétaire Général de l’Élysée, haut fonctionnaire fin connaisseur du droit administratif et ancien ministre de Jacques Chirac. Cette audition (dont on peut écouter la vidéo ici) a eu lieu à quelques jours de la fin de la période de la mission. En effet, elle ne peut excéder six mois (elle a été créée le 23 juillet 2018), et ensuite, vient le temps du rapport.

Comme lors de sa première audition du 19 septembre 2018, Alexandre Benalla a une manière de parler et une intelligence telle qu’il donne du crédit à ses affirmations. Pourtant, la sauce semble moins séduire les sénateurs à la seconde audition.

Sa manière de parler est très posée, très réfléchie, ses connaissances du droit indiscutables, mais il y a un petit côté endimanché, de faire comme si, comme s’il avait occupé un poste très important dans la République. Il s’y croit. Il a même affirmé à un détour de phrase : « Quand j’étais à la Présidence de la République… ». Il a même montré de la condescendance envers les sénateurs même s’il est resté dans un cadre très strict de la politesse.

 

Ainsi, il essaie de parler comme un responsable politique important, mais sans jamais l’avoir été. Il était néanmoins « coriace » dans le sens qu’il n’a pas voulu répondre aux deux questions essentielles de la commission d’enquête. En ce sens, cette audition n’a servi à rien pour éclaircir les interrogations de la commission sénatoriale.

Tant son président Philippe Bas que les deux corapporteurs Jean-Pierre Sueur et Muriel Journa ont cherché à expliquer très courtoisement à Alexandre Benalla les frontières de l’instruction judiciaire qui le concerne et de cette commission d’enquête, chacune ayant des objectifs très différents. L’instruction judiciaire cherche à savoir si Alexandre Benalla a fait quelque chose de fautif par rapport à la loi ou pas. La commission d’enquête ne cherche pas à savoir ce qu’a fait de fautif Alexandre Benalla, mais à comprendre les éventuels dysfonctionnements au plus haut niveau de l’État, à l’Élysée, sur les questions de sécurité, et à formuler éventuellement des recommandations pour améliorer le fonctionnement de l’État.

Or, probablement mal conseillé par son avocate, Alexandre Benalla a obstinément refusé de répondre précisément aux deux questions essentielles de la commission d’enquête (« obstiné » fut l’adjectif employé par Philippe Bas).

Quelles sont-elles ? D’abord, les conditions dans lesquelles ont pu lui être délivrés ses deux passeports diplomatiques. Ensuite, la nature des activités qu’il a exercées après son licenciement de l’Élysée.

La première question cherche à comprendre comment Alexandre Benalla a pu effectuer vingt-trois voyages internationaux avec un passeport diplomatique, rencontrer des chefs d’État, sans que ni l’Élysée, ni le Quai d’Orsay ni le Ministère de l’Intérieur ne fussent avisés.

La seconde question n’est pas moins importante puisque lorsqu’une personne a travaillé dans une haute sphère du pouvoir, elle doit, lorsqu’elle poursuit sa carrière professionnelle par une activité dans le privé, se soumettre à la commission de déontologie (c’était même indiqué sur son contrat de travail) afin d’être sûr que la personne n’utilise pas des informations confidentielles pour son activité ultérieure. On imagine l’importance des informations sensibles qui pourraient être révélées par exemple à un État étranger.

À ces deux questions, Alexandre Benalla s’est réfugié dans le silence en raison de la procédure judiciaire en cours (il a été mis en examen le 18 janvier 2019) pour ne pas répondre. En ce sens, il a imité l’ancien Ministre du Budget Jérôme Cahuzac lorsqu’il fut interrogé par la commission d’enquête présidée par Charles de Courson.

En effet, dans son audition du 26 juin 2013 (dont on peut relire le compte rendu ici), Jérôme Cahuzac n’a cessé de répondre qu’il ne pouvait pas répondre avec un aplomb incroyable. Voici ses premières réponses de la sorte : « Votre question se situe en effet aux frontières de la procédure judiciaire et des travaux de votre commission. », « Quant à la question que vous me posez, je suis au regret de vous dire qu’elle me semble empiéter sur l’information judiciaire en cours. Je ne peux donc pas vous répondre. », « Je comprends votre raisonnement, monsieur le président, mais j’espère qu’à votre tour, vous comprendrez que je ne peux pas répondre à cette question. », « Je suis contraint de vous faire la même réponse, monsieur le président. », « Je le souhaiterais [« Pourriez-vous nous indiquer etc. »], mais je ne le peux pas, monsieur le président, pour les mêmes raisons que précédemment. », « Je vais tenter de vous répondre en veillant à ne pas empiéter sur l’information judiciaire en cours. Je comprends que vous ayez moins le souci que moi du respect de cette information judiciaire, mais j’espère que, réciproquement, vous comprendrez que j’y sois particulièrement attentif. », etc.

Alexandre Benalla a ainsi repris la même ligne de défense que Jérôme Cahuzac, le silence, pour ne pas répondre clairement et précisément à ces deux questions. Il a repoussé ces questions au moins six ou sept fois. Pourtant, le président Philippe Bas a fait preuve d’une extrême courtoisie, ténacité et pédagogie pour lui expliquer, d’une part, que s’il ne répondait pas aux questions de la commission, il encourait deux ans de prison et 7 500 euros d’amende, d’autre part, que seule la commission est compétente pour fixer ses limites d’investigation et que ce n’est pas à Alexandre Benalla d’imposer son interprétation des textes constitutionnels à la commission.

D’ailleurs, c’est un étrange raisonnement d’invoquer la procédure judiciaire seulement quand cela l’arrange, alors que dans ses propos liminaires, répondant à des questions qui n’ont pas été posées par les sénateurs qui ne voulaient justement pas les poser car ce n’était pas dans le cadre de cette commission d’enquête, Alexandre Benalla a parlé des faits qui font justement l’objet d’une instruction judiciaire, à savoir ses actes du 1er mai 2018 qui ont été à l’origine de « l’affaire ».

Malgré un grand nombre d’arguments, dont son intérêt propre pour couper court à toutes sortes de rumeurs (comme être un agent parallèle de la Françafrique), Alexandre Benalla a seulement précisé que la délivrance des passeports diplomatiques s’est faite « normalement » et qu’il n’était pas (encore) passé devant la commission de déontologie de l’Élysée alors que cela fait plus de cinq mois qu’il a une activité (mystérieuse donc) dans le privé. Or, c’est obligatoire, selon la loi.

Pour s’en défendre, tout en reconnaissant honnêtement cette erreur, Alexandre Benalla a eu le toupet de demander combien de personnes ayant travaillé à l’Élysée et partant dans le privé avaient saisi la commission de déontologie. Question stupide et gratuite, car il suffit justement de lire le journal de bord (« La politique est un sport de combat », éd. Fayard) de Gaspard Gantzer, ancien conseiller en communication de François Hollande, qui savait depuis le 1er décembre 2016 qu’il ne travaillerait plus à l’Élysée après mai 2017, pour savoir que la commission de déontologie est régulièrement saisie dans ces cas-là.

En refusant de dire quelle est la nature de son nouveau travail et de dire pour qui il travaille maintenant, Alexandre Benalla est loin d’avoir convaincu les sénateurs que rien de troublant n’a été accompli au second semestre 2018. La prestance très habile de l’ancien chargé de mission de l’Élysée n’a pas fait illusion, contrairement à sa première audition.

Il faut dire aussi qu’entre ces deux auditions, il y a une différence de taille : alors qu’en septembre 2018 encore, Alexandre Benalla bénéficiait de la protection (surréaliste) au plus haut niveau de l’État (on se souvient quelqu’un dire « Qu’ils viennent me chercher ! »), depuis décembre 2018, c’est la guerre larvée entre l’Élysée et Alexandre Benalla, au point que la nouvelle audition du directeur de cabinet de l’Élysée, Patrick Strzoda (son ancien patron), le 16 janvier 2019, fut un lâchage en règle de cet … »individu ». Alexandre Benalla n’a pas hésité à lui répondre coup pour coup.

Alexandre Benalla restera donc un personnage mystérieux associé à un mandat présidentiel dans l’histoire des Présidents de la République, comme Jérôme Cahuzac sous François Hollande, et comme …Daniel Wilson, gendre du Président Jules Grévy, qui faisait du trafic de décorations et dont l’éclatement du scandale a conduit à la démission du Président de la République qui était pourtant hors de cause…

À l’issue de cette audition, c’est clairement le Sénat qui a marqué un point : il montre, audition après audition, que la chambre haute est capable de mener son enquête de contrôle de l’État en toute indépendance, et avec grande compétence. C’est utile de le rappeler au moment où le Président Emmanuel Macron évoque dans sa lettre aux Français la possibilité de la suppression du Sénat.


- Source : Cent Papiers

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