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La France ne reconnaîtra pas l’accès à l’eau comme droit fondamental

Auteur : Hugo Lebarrois | Editeur : Walt | Mercredi, 03 Mai 2017 - 17h12

Le Sénat vient de manquer une occasion historique ! Depuis juin 2010, l’accès à l’eau et son assainissement a acquis devant les Nations unies le statut de droit de l’Homme. L’eau, comme disait Danièle Mitterrand, « c’est la vie », mais c’est aussi une condition minimale pour la dignité des plus démunis.

France Libertés et Coalition Eau ont coordonné de multiples associations caritatives et ONG qui, présentes sur le terrain, étaient conscientes de l’urgence d’agir pour faire reconnaître ce droit essentiel dans l’ordre juridique français. Elles sont parvenues à recueillir l’attention de certains députés, qui ont déposé une proposition de loi visant à garantir l’égal accès de tous à une eau potable et saine. Adoptée à l’Assemblée, il semble pourtant que la proposition ait été enterrée, mercredi 22 février, par les sénateurs centristes et républicains.

Pourquoi cette loi ?

On pourrait s’étonner qu’en France il soit besoin d’introduire un droit d’accès à l’eau, tant il relève de l’évidence. 99 % des Français sont bien raccordés à un réseau de distribution. Il subsiste toutefois certains laissés-pour-compte, qui inquiètent les associations humanitaires. Au cœur de notre pays demeurent en effet, à la campagne comme à la ville, des personnes dont le statut marginal n’intéresse pas ou peu les pouvoirs publics. Insignifiants « statistiquement », il s’agit pourtant de centaines de milliers de femmes, hommes et enfants, qu’ils soient sans domicile fixe, réfugiés, gens du voyage, ou bien simples ménages résidant dans des habitations insalubres. La proposition de loi tentait également de pallier le problème des foyers qui, confrontés à des impayés, se voyaient couper l’accès à l’eau courante.

La France a encouragé la reconnaissance d’un droit à l’eau potable aux Nations unies, il est donc légitime et nécessaire qu’elle reconnaisse ce droit dans son propre ordre juridique, et qu’elle pourvoie à sa mise en œuvre effective.

Que contenait la proposition de loi ?

En plus de reconnaître juridiquement l’existence d’un droit à l’eau potable et saine, la proposition engageait toutes les collectivités territoriales à mettre à disposition des équipements de bains douches et toilettes municipaux de manière plus effective. Même si les points d’eau existent dans la quasi-totalité des communes, ils ne sont pas toujours assez nombreux, ni assez accessibles aux populations qui en ont besoin.

Ensuite et surtout, suivant les recommandations du Conseil d’Etat dans son rapport du 4 juin 2010 « L’eau et le droit », les députés proposaient que soient préférées des aides préventives pour l’accès à l’eau potable à une interdiction de principe, qui priverait pour motifs financiers des êtres humains d’une ressource indispensable à une vie digne. Ces aides auraient pris la forme d’allocations, financées par l’Etat, et non les collectivités territoriales.

Obstruction parlementaire déraisonnée

Les sénateurs républicains et centristes ont émis plusieurs doutes quant à l’utilité et le bien-fondé de la loi au cours des débats, qui les ont conduit à détricoter le texte article par article, jusqu’à le rendre parfaitement vide d’intérêt. Au premier chef des craintes exprimées était l’absence de chiffrage de cette nouvelle obligation pesant sur les collectivités territoriales. Portée par le groupe écologiste, la proposition n’avait en outre pas fait l’objet d’une étude d’impact, habituellement de rigueur.

Ensuite, puisqu’il s’agissait d’un droit non-opposable, les administrés ne pouvant agir devant les tribunaux administratifs contre l’Etat pour non-respect dudit droit, le texte serait, toujours selon les mêmes, inutile et superficiel.

Enfin, les sénateurs Républicains affirment que des infrastructures existent déjà.

Cette argumentation peut avoir des charmes. Il faut pourtant démontrer qu’elle n’est que purement rhétorique, en 4 points :

– Il appartenait aux maires et aux autres collectivités territoriales de trouver les moyens qui leur semblaient bons pour répondre à la demande. Si les infrastructures existent dans la plupart des communes, il s’agissait simplement de les rendre plus accessibles. Une obligation peu contraignante à la charge des collectivités ! Les communes n’ont d’ailleurs jamais exprimé une quelconque réticence à l’égard de ce texte.

– Il est ironique que les sénateurs républicains demandent un chiffrage d’une telle proposition au moyen d’une étude d’impact. Outre que l’on puisse douter que le coût soit massif, il se trouve que les mêmes sénateurs avaient cherché à supprimer l’obligation faite au législateur d’accompagner ses projets/propositions de lois d’étude d’impact ! En la personne du sénateur Hugues Portelli, les Républicains invoquaient alors l’inutilité de ces études d’impact, rédigées la plupart du temps dans l’urgence, et sans grand apport technique. On ne saurait les démentir : le gouvernement s’était par exemple contenté d’additionner les PIB de chaque région fusionnée pour analyser l’impact de la loi relative à la délimitation des régions…

– La reconnaissance du droit d’accès à l’eau comme droit de l’Homme est un engagement international de la France, pris sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La droite sénatoriale fait donc coup double : elle ne souhaite pas respecter les engagements internationaux de la France, et renie son propre héritage !

– Si le droit en question n’est pas opposable par les administrés, les associations agissant contre les communes ou l’Etat auraient toutefois pu, à l’appui de leurs demandes, invoquer l’existence juridique de ce droit. Cette reconnaissance n’avait donc pas qu’une valeur symbolique.

On le voit, la politique suit son cours, partisan et biaisé, alors qu’approchent les élections présidentielles, et que la possibilité pour ce droit de voir le jour est remise aux calendes grecques. Ce faisant, le Parlement rate une occasion symbolique et concrète d’apporter « une petite pierre fraternelle sur le chemin de l’humanité », comme le revendiquait le sénateur socialiste de la Gironde, Philippe Madrelle.


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