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Vendredi, 26 Avr. 2024

Leçons arabes pour la Corée du Nord

Auteur : Abdel Bari Atwane | Editeur : Walt | Samedi, 22 Avr. 2017 - 18h02

Pyongyang sait que l’Irak, la Libye et la Syrie ont été attaqués ou envahis seulement après avoir supprimé leur capacité de dissuasion.

En tant qu’Arabe et musulman, je me suis senti à la fois insulté et blessé lors de la lecture de commentaires dans la presse israélienne qui avertissaient les États-Unis contre l’attaque téméraire de la Corée du Nord [RDPC]. Les donneurs de leçon prévenaient que la RPDC n’était pas un pays arabe à quatre sous, comme la Syrie, qui pouvait être bombardé à tout moment en toute impunité, mais un adversaire sérieux qui possède de vrais moyens de représailles, impliquant des ogives nucléaires et des missiles à longue portée.

Nous, les Arabes, avons été transformés en sacs à main internationaux et terrains d’expérimentation. Nos terres ainsi que le sang et la vie de nos citoyens, sont devenus des cartes de jeu entre les mains de tous les invités. Un nombre toujours croissant de pays lorgnent sur notre territoire et nos ressources, alors que nous sommes déchirés par le sectarisme et que nos médias ont été réduits à des instruments d’incitation à la haine, sous diverses excuses et prétextes, à l’égard d’autres Arabes et musulmans.

Le plan concocté commence généralement par le lancement de campagnes de propagande bien coordonnées et orchestrées axées sur les prétendues armes de destruction massive arabes et le besoin vital pour le monde de les éliminer. Toute tentative de refuser peut alors fournir une base juridique et morale pour les sanctions et autres mesures punitives, y compris l’agression militaire, la dévastation pure et simple et le changement de régime forcé.

Ce n’est pas un hasard si tous les pays arabes qui ont été soumis à une agression dirigée par les États-Unis au cours des dernières années avaient auparavant cédé aux exigences des États-Unis et des Nations Unies en supprimant les «armes de destruction massive», en particulier des munitions chimiques, et en abandonnant toute idée d’acquérir des moyens de dissuasion nucléaire. Mais cette docilité n’a pas garanti leur sécurité. Ils ont ensuite été attaqués ou envahis, ou les deux à la fois.

Intense assaut aérien, balistique et aux missiles de croisière US sur le palais présidentiel irakien à Baghdad, mars 2003. C’était alors l’opération Awe and Shock, prélude à l’invasion de ce pays

Une fois les États-Unis assurés que ces pays ne possédaient pas d’armes suffisamment puissantes pour se défendre et infliger des pertes sévères à leurs troupes, l’agression et le bombardement pouvaient débuter.

Image de l’ex-palais du Colonel Gaddafi  à Tripoli, bombardé une première fois par l’aéronavale US en 1986, transformé en musée de la lutte contre l’agression américaine avant d’être pris d’assaut en 2011 par les forces spéciales turques et jordaniennes déguisées en groupes rebelles libyens avec le soutien aérien de l’OTAN.

L’Irak, la Libye et la Syrie en sont de clairs exemples. Tous ont abandonné leurs arsenaux chimiques et ont coopéré avec des inspecteurs internationaux des armements – que ce soit volontairement, sous la menace d’une action militaire, après avoir été soumis à des raids aériens dévastateurs ou sous la pression d’un embargo étouffant et inhumain.

L’administration de George Bush Jr. savait très bien que Saddam Hussein avait coopéré pleinement avec les équipes internationales d’inspection des armements envoyées en Irak pour enquêter sur tous ses programmes, matériels et équipements nucléaires et chimiques. Il a résisté à toutes les provocations des inspecteurs – dont la plupart étaient des espions – y compris leurs recherches dans ses palais et leurs chambres. Une fois Washington assuré que l’Irak avait été débarrassé de toute capacité nucléaire ou chimique, l’invasion pouvait être ordonnée sans délai.

Le colonel Muammar al-Qadhafi a été victime d’une grande tromperie inventée par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui l’a persuadé d’abandonner volontairement ses stocks d’armes chimiques et de matières nucléaires, en échange d’une garantie d’immunité personnelle et de réintégration de lui-même et son régime dans la communauté internationale. Une fois que Qadhafi ait renoncé aux armes, une révolution contre lui a été inventée de toutes pièces et une résolution du Conseil de sécurité a été promulguée pour protéger les dits révolutionnaires de massacres imminents.

La conspiration soigneusement scénarisée s’est terminée par le renversement du régime et la transformation de la Libye en un état défaillant dominé par une anarchie sanglante, gouverné par des milices en perpétuel conflit et maintenant au bord de la partition.

La Syrie fait face au même scénario. L’action militaire a été brandie et les forces aériennes mobilisées pour l’obliger à liquider ses stocks d’armes chimiques dans le cadre de l’accord conclu en 2013. Puis, il y a deux semaines, sa base militaire de Shueirat a été soumise à un bombardement de missiles de croisière américains suite à une effusion d’indignation internationale sur des accusations non vérifiées selon lesquelles le régime syrien aurait utilisé des armes chimiques à Khan Sheykhoun près d’Idlib.

Le président syrien Bashar Al-Assad, ici au milieu des officiers généraux de l’Armée Arabe Syrienne peu avant la perte de 40% de son état-major, fait face depuis plus de 6 années à une très violente guerre menée par les Etats-Unis d’Amérique, l’OTAN, Israël et les pays Arabes du Golfe arabo-persique via des armées de mercenaires « islamistes ». L’objectif est le même: opérer un changement de régime en Syrie, pays classé hostile depuis 1964

Pourtant, le meurtre cynique de plus de 100 partisans civils syriens du régime, la moitié d’entre eux étant des enfants, alors qu’ils quittaient les villages de Foua et Kafraya dans le cadre d’un accord parrainé par les Nations Unies, n’a suscité aucune indignation. Seul a répondu un écrasant silence en Occident et dans le monde arabe, en particulier dans ces États arabes qui avaient participé à la négociation de l’accord d’évacuation et continuent de financer les auteurs de ce massacre.

Un reporter syrien courant avec le cadavre d’un enfant tué dans un attentat à la bombe ayant visé des populations pro-gouvernementales à Kafraya. Cette photo a été ignorée par la très mauvaise comédienne Nikki Nimrata Haley, représentante des USA aux Nations Unies connues pour ses dérives tragico-émotionnelles sur commande

Les dirigeants de la Corée du Nord auront sans doute pris note de ces expériences arabes sans gloire et de leurs conséquences désastreuses, et ils ont appris la leçon. C’est pourquoi ils n’ont pas mordu à l’hameçon américain et n’ont pas arrêté leurs tests de missiles nucléaires et balistiques. Ils savent très bien qu’ils ont besoin d’une force de dissuasion, et leur dangereuse menace de riposter à toute attaque américaine peut bien leur fournir une protection. Tout aussi important, ils ont des alliés fiables en Chine et en Russie qui ne poignardent pas leurs amis dans le dos, contrairement aux prétendus amis de l’Irak, de la Syrie et de la Libye dans le monde arabe et surtout dans certains états du Golfe.

Missiles balistiques de l’artillerie spéciale nord-coréenne

Les États-Unis, quant à eux, frappent les Arabes (et les Afghans) pour envoyer des messages à d’autres. La frappe des missiles à Shueyrat et le lâchage de « la mère de toutes les bombes » en Afghanistan étaient dirigées contre la Corée du Nord et l’Iran.

C’est un état de choses lamentable, un sous-produit de la façon dont le leadership du monde arabe est passé aux mains des États périphériques riches en pétrole qui considèrent les États-Unis comme un allié digne de confiance. Ils risquent d’avoir des raisons d’y réfléchir à nouveau lorsque cet allié les aura réduit à la faillite, comme cela il le fera certainement.

L'auteur, Abdel Bari Atwane, est analyste politique et spécialiste en géopolitique du Moyen-Orient, ancien Rédacteur en Chef du journal londonien Al-Quds Al-Arabi, Rédacteur en Chef du journal indépendant Rai Al-Youm 

Traduction Chronique de Palestine

Photo d'illustration: Troupes Nord-Coréennes lors de la parade militaire du 15 avril 2017. Notez le gilet pare-balles de confection locale ainsi que la variante locale du fusil d’assaut basé sur l’AK et  dotée d’un chargeur tubulaire contenant entre 100 et 150 munitions d’un calibre inconnu


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