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Mercredi, 01 Mai 2024

L’occasion Trump

Auteur : Raúl Zibechi | Editeur : Walt | Lundi, 13 Févr. 2017 - 11h27

Deux points de départ. Premièrement, les changements fondamentaux ne se produisent jamais pendant des périodes de calme plat mais au milieu de tempêtes qui mettent tout sens dessus-dessous. C’ est dans ces moments que les forces anti-systémiques, forgées sur de longues périodes dans le sous-sol des sociétés, peuvent tirer parti de la faiblesse et de la cruauté du capital pour montrer aux majorités qu’il existe d’autres voies, au-delà de la subordination au système.

Deuxièmement, l’un des problèmes les plus importants auxquels la lutte d’émancipation est confrontée aujourd’hui est la subordination des mouvements antisystémiques au capital financier et aux États, comme l’a souligné Nancy Fraser dans un article mémorable « Trump ou la fin du néolibéralisme progressiste » (anglaisespagnol).

Le battage assourdissant des médias les plus puissants du système, à commencer par le New York Times, docilement suivi par la grande majorité des médias du monde entier, a un objectif très clair: renforcer l’alliance Wall Street-Silicon Valley-Hollywood avec les nouveaux mouvements sociaux (féminisme, antiracisme, multiculturalisme et LGBTQ), comme le dit Fraser.

Cette alliance est un pare-feu érigé par Bill Clinton en 1992, que la féministe US appelle «néolibéralisme progressiste» comme un moyen d’isoler la classe ouvrière  – mise à mal par le capital financier et la mondialisation – des mouvements sociaux. Là où des luttes contre le néolibéralisme ont été victorieuses, c’ était là où des alliances de fait se sont tissées entre les deux secteurs. L’Argentinazo de décembre 2001 a fu la convergence du «piquet et de la casserole», à savoir les ouvriers mis au chômage et les classes moyennes appauvries, quelque chose que ceux d’en haut cherchent à éviter à tout prix.

Ce néolibéralisme progressiste est celui qui a gouverné une grande partie de l’Amérique du Sud dans la dernière décennie. Toutes proportions gardées, il y a aussi chez nous une intention de coopter les nouveaux mouvements, d’une manière que Fraser décrit de façon simple et puissante  : «En identifiant les progrès avec la méritocratie, plutôt que l’égalité, l’émancipation se réduisait à la montée d’un petite élite de femmes, de minoritaires et de gays « talentueux » dans la hiérarchie d’entreprise basée sur la notion «qui gagne garde tout » (validation de la hiérarchie plutôt que son abolition) « .

Ces minorités jouent le même rôle que les directions syndicales et de la social-démocratie européenne au cours de la Première Guerre mondiale, freinant les aspirations révolutionnaires d’une partie importante du prolétariat. Dans des cas extrême comme en Allemagne en 1919, cette social-démocratie est allée jusqu’à faire assassiner des leaders comme Rosa Luxemburg, montrant le vrai visage de son projet de soutenir le système capitaliste face à la gauche rebelle.

En d’autres termes, sans le soutien de ce secteur le système vacillerait. Au début de la mondialisation, conscients que celle-ci affecterait la classe ouvrière industrielle, les élites du monde ont tissé une large alliance avec les nouveaux mouvements, que Fraser décrit comme une «alliance entre émancipation et financiarisation». La rage de Wall Street et du système des médias vient du fait que la victoire de Trump laisse cette alliance dans un état de faiblesse maximale, d’où leurs efforts pour mobiliser les jeunes afin d’éviter des fractures.

Juste deux exemples. Le mur Trump existe déjà et a été dressé par diverses administrations, « programmé par Bill Clinton et construit à un tiers par Baby Bush », selon Alfredo Jalife-Rahme (La Jornada 1er Février, 2017. Mais on présente le mur comme une nouveauté, ignominieuse par définition, alors qu’ils devraient dire que Trump a l’intention d’achever le mur entamé par les néolibéraux républicains et démocrates.

Deuxième exemple : la propagande de défense des droits de l’homme et des musulmans. Paul Craig Roberts critique sévèrement l’opportunisme de la représentante de l’ONG Human Rights First, qui a attaqué les mesures contre les musulmans: « Où était Human Rights First, lorsque le régime Bush / Cheney / Obama a tué, mutilé et déplacé des millions de musulmans dans sept pays sur quatre présidences? « (paulcraigroberts.org, 3 février 2017).

Le deux poids deux mesures des lobbyistes des mouvements ne fait que brouiller les droits humains, le féminisme, les causes antiraciste et LGBTQ, tandis qu’il garde le silence sur les criminels de guerre comme Hillary Clinton, directement responsable de l’invasion de la Libye et du massacre du Printemps arabe.

Il est clair que le gouvernement Trump sera très agressif et violent contre les secteurs populaires dans le monde entier, et ses effets se font déjà sentir dans des pays comme le Mexique et bientôt dans toute la région latino-américaine. Maintenant ils restent nombreux, ceux qui assurent que le nouveau monde surgira à travers des processus sereins et calmes, alors qu’on sait que la stabilité est le meilleur terreau pour la reproduction du système. Ceux qui ont besoin de stabilité sont précisément les élites des mouvements, incrustées dans le pouvoir, d’où elles cherchent à éviter que la répression les affecte dans leur voie de salut individualiste.

Pour ceux d’en bas, l’arrivée de l’énergumène Trump à la tête de la plus grande puissance du monde, est un symptôme de décomposition du système qui nous affecte comme les coups de vent d’une tempête. C’est au milieu du chaos systémique que nous travaillons à construire le nouveau monde, avec tous les risques que cela implique, mais avec une volonté intacte.

Traduit par Fausto Giudice (Tlaxcala)


- Source : Des Informemonos

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