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Google-NSA, un mariage de raison au service du plus grand centre d'espionnage à l'ère technumérique de la guerre fluide

Auteur : Bernard Dugué via Agoravox | Editeur : Stanislas | Jeudi, 13 Juin 2013 - 14h10

L’opinion publique vient de découvrir que la célèbre agence de sécurité américaine NSA pourrait espionner tout le monde ou presque grâce à un pacte secret conclu entre les services américains et les géants du Web. En fait, il n’y a pas vraiment de secret puisque ces pratiques sont connues depuis des années et du reste, rendues publiques et accessibles pour qui veut bien se donner la peine d’aller chercher les informations. L’universitaire juriste Stephanie DeVos a publié en 2011 une étude roborative de 50 pages dans la revue de l’Université Fordham tenue par des jésuites new-yorkais. Dans ce document, on peut lire la très courte histoire des relations entre le Web et les autorités américaines impliquées dans la défense et la sécurité. Google serait allé chercher la NSA pour établir une collaboration censée protéger les données circulant dans les réseaux googélisés. A l’origine, une cyberattaque provenant paraît-il des autorités chinoises en décembre 2009. Des comptes gmail appartenant à des défenseurs des droits de l’homme auraient été surveillés. Par la suite, Google se fendit une mise au point sur son site, faisant état d’une nouvelle approche de la « question cybernétique chinoise », conseillant aux internautes de se prémunir de ces intrusions inopinées en usant d’outils adéquats.

Retour sur les années précédentes. L’implication des services américains dans la sécurisation des données circulant sur le Web date de l’administration Clinton qui dès 1998, prit conscience de la vulnérabilité de la Toile et de la nécessité de sécuriser la circulation des informations. C’est à cette époque, marquée la frénésie boursière autour des nouvelles technologies, que la connectivité des institutions et industries s’est intensifiée au point de révéler des failles au sein du système et de justifier que les ingénieurs du cyberespace travaillent sur les questions de sécurisation, notamment parce que la plupart des pays avancés sont reliés à la toile. Les Etats-Unis ont été en pointe dans ce domaine et depuis 1945 se considèrent un peu comme les gendarmes du monde, non sans quelques relents de parano gouvernementale et étatique expliquant le budget considérable dépensé dans la défense, avec des troupes et des armements sans commune mesure avec les autres nations et comme l’information est devenue le nerf de la guerre, les Etats-Unis dépensent sans compter pour financer les agences de renseignement. La directive de l’administration Clinton prévoyait une coopération étroite entre les agences fédérales de sécurité et les entreprises du Web. A cette époque, Google était une entreprise inconnue du grand public, ne comptant que quelques employés. L’intention des autorités était de sécuriser les données du Net afin de garantir les personnes privées autant que les groupes industriels ou les institutions face à des intrusions mal venues pour ne pas dire malveillantes.

Entre 2002 et 2008, la coopération sécuritaire a été renforcée pendant les deux mandats de GW Bush avec des moyens augmentés et la création de nouvelles structures pour répondre à la situation engendrée par les attentats du 11 septembre. Ainsi fut créé le département de sécurité intérieure (DHS), regroupant des agences déjà existantes tout en bénéficiant de moyens supplémentaires. Aux Etats-Unis, un département est une institution fédérale dépendant de la Maison Blanche, sorte d’équivalent de nos ministères. Le DHS est donc un super ministère de l’intérieur, classé troisième par son personnel évalué à 200 000, avec un énorme budget, quelques 100 milliards de dollars alloués en 2011 mais 70 dépensés. Le premier département étant de loin la défense et en seconde position celui des anciens combattants. Et l’éducation ? Elle arrive juste après mais attention au trompe-l’œil car le système fédéral américain ne ressemble pas à notre régime jacobin et son éducation nationale(isée). Les Etats-Unis dépensent des folles sommes en sécurité et les années GW Bush n’ont pas dérogé à la règle. Dans le sillage du Patriot Act signé fin 2001, un nouvel Acte a été conclu en 2004, le IRTPA, sigle signifiant le développement du renseignement au service de la lutte contre terrorisme qui est depuis 2001 la préoccupation majeure, pour ne pas dire l’obsession, des membres de l’administration américaine. Le IRTPA repose sur huit points dont le premier est la réforme des systèmes de renseignements, scindée en neuf sous-titres sont le premier est la création d’une nouvelle agence, la DNI, direction nationale du renseignement, qui dépend directement du président et qui est la première à lui prodiguer des expertises sur ce domaine. Le DNI prend la tête de l’ancienne DCI fondée en 1945 alors que la CIA fondée en 1947 est placée sous l’autorité de la DCIA. Ce ne sont que deux parmi les 16 grandes agences fédérales regroupées sous le sigle IC qui inclut entre autres la NSA ou le FBI et d’autres, toutes vouées au renseignement, à la sécurité, à la fois intérieure et extérieure. Reagan fut à l’origine de ce regroupement conclut en 1981.

L’Histoire ne sait pas encore si la DNI, la DCIA et les Actes signés depuis 2001 symbolisent un nouvel âge, le technumérique qui fait suite au technétronique croqué par Brzezinski en 1970 mais dont les germes dataient de 1947. Autrement dit, à peu près quand la guerre froide débuta. Auquel cas, après la guerre froide de l’âge technétronique achevée dans les années 1990 se dessine la guerre fluide de l’âge technumérique (Et pour fêter ça, un peu de pink fluid, la boisson préférée des amateurs de rock progressif dont la recette est gardée secrète par les organisateurs du festival Crescendo)

2008, élection mythifiée de Barack Obama mais question sécurité, le successeur du « méchant » Bush a poursuivi et même renforcé le processus. Ce qui nous ramène à la DNI qui a mandaté la NSA pour bâtir près du lac salé dans l’Utah le plus grand centre de collection de données jamais réalisé sur cette planète. Avec un budget de deux milliards de dollars, le bâtiment occupant près de 100 000 mètres carrés sera doté des systèmes informatiques les plus puissants, en calcul et stockage. Son besoin en énergie est évalué à 60 mégawatts. Son objectif est de répondre à l’initiative sur la cybersécurité lancée par GW Bush début 2008. Avec des objectifs et des stratégies classées confidentielles. Le centre devrait être opérationnel fin 2013. Mais bien que tenus secrets, les objectifs finissent par fuiter par on ne sait quel informateur qui peut tout aussi bien être un désinformateur pourvoyeurs de leurres médiatiques. Toujours est-il que les médias connaissaient l’ampleur du projet, donnant moult détails depuis 2012, bien avant que ne retentisse l’affaire du PRISM qui n’apporte rien de nouveau mais par son contexte théâtralisé, attire les projecteurs. A noter que le bâtiment de la NSA voué à la sécurité et au renseignement ne peut négliger sa propre sécurité. Rien de comparable avec les quelques molosses surveillant nous sous-marins à Brest. Rien que le système de filtrage du personnel coûtera 10 millions de dollars. Même tarif pour la surveillance vidéo du bâtiment. Et pour refroidir les processeurs, pas moins de 60 000 tonnes de liquide de refroidissement. C’est ce qu’il faut en effet pour traiter gérer un trafic d’informations évalué à 1000 exabits en 2015 par Google (1 suivi de 21 zéros)

En mars 2012, le magazine Wired dévoilait le caractère très secret de ce projet censé concrétiser l’aboutissement de dix années de travail dans ce domaine. Ce bâtiment suscite en effet bien des fantasmes et des craintes. La NSA aurait réalisé ces dernières années des avancées majeures dans le décryptage ainsi que dans la surveillance des données avec l’emploi d’ordinateurs surpuissants capables de tout détecter, de tout scanner, dans les moindres détails, mots par mots. Selon le journaliste de Wired, la NSA pointerait ses yeux cybernétiques sur les citoyens américains, ce qui serait un précédent depuis l’affaire du Watergate. Et pas seulement américains. La devise de la NSA étant : n’importe qui est une cible, quiconque communique est une cible qui nous intéresse. Nous voilà entrés dans cet âge technumérique avec cet inquiétant bâtiment que même Orwell n’aurait pas imaginé. La NSA pourrait « craquer » pratiquement tous les codes et avoir accès aux données les plus anodines contenues dans les ordinateurs domestiques comme les renseignements les plus stratégiques contenus dans les bases de données gouvernementales de pays amis ou ennemis.

Quant à Google, sa coopération semblait être conclue sur des bases honnêtes mais comme dit l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions et j’ajoute que pour nous le prouver, il se trouvera toujours un avocat du diable. Peut-être Stephanie DeVos joue-t-elle ce rôle. Dans son étude, elle insiste sur cette cyberattaque subie par Google et qui sait, vécue comme un 11 septembre cybernétique par les intéressés. De quoi alimenter les peurs et de déclencher une réponse certainement démesurée mais qui montre bien à quel point l’information est devenue l’enjeu de l’ère technumérique. A noter aussi un caractère spécifique de Google que la plupart ignorent. Ce géant du Web n’était à l’origine qu’un banal moteur de recherche, concurrent d’Altavista, mais devenu assez rapidement un outil prisé des internautes pour son efficacité. Par la suite Google est devenu non seulement un moteur de recherche mais aussi un système intelligent qui organise l’information. Ce qui rejoint le nouveau paradigme en biologie où la vie repose essentiellement sur des systèmes moléculaires et cellulaires capables d’organiser (hiérarchiquement) l’information. On comprend alors pourquoi la NSA pourrait avoir besoin de Google.


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