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Samedi, 18 Mai 2024

Tout le monde va vouloir être jugé par la Cour de Justice de la République

Auteur : Gilles Dever | Editeur : Walt | Mercredi, 21 Déc. 2016 - 16h33

Christine Lagarde était poursuivie, en tant que dépositaire de l’autorité publique, pour avoir contribué à détruire et détourner des fonds publics, du fait de la négligence (Code pénal, art. 432-16). La peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Ce n’est pas la plus grave des infractions. Il n’y a ni enrichissement indu, ni intention coupable : simplement, un patron doit être vigilant dans la gestion des fonds publics, et laisser passer une hémorragie d’argent public par simple négligence est une infraction.

Responsabilité politique et/ou juridique ?

En tant que Sinistre de l’Economie, Lagarde assume une responsabilité politique, qui s’est caractérisée par une lourde sanction : en effet, après son passage lunaire au ministère, ponctuée par une stupéfiante lettre d’excuses mortifiées à Sarkozy, elle a été durement punie… en étant élue au FMI. La responsabilité politique, ça ne rigole pas.

Coté pénal, ce n’est pas mal non plus.

La Cour de Justice de la République

Les membres du Gouvernement sont « pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis », selon l’article 68-1 de la Constitution, et ils sont jugés par la Cour de Justice de la République : trois magistrats de la Cour de cassation, jusque-là on comprend, mais aussi des parlementaires – six sénateurs et six députés – donc des collègues de la personne poursuivie,… ce qui est un modèle à encourager.

Par exemple, on va ajouter aux trois juges du tribunal correctionnel douze assesseurs qui sont des membres de la famille ou des amis du prévenu.

Une condamnation…

La décision de la CJR s’organise en trois points (ah ah ah…).

Tout d’abord, c’est bien une culpabilité personnelle de Lagarde, et non pas de Sarkozy ou Fillon : «Madame Lagarde affirme ne pas avoir agi sur instruction du Premier ministre ou du président de la République, assume l’entière responsabilité de ses choix. Elle était donc décisionnaire, dépositaire de l’autorité publique.»

Ensuite, la CJR innocente Lagarde sur sa décision d’entrer en arbitrage, en 2007, ce qui peut se discuter dans la mesure à la Cour de cassation venait de rendre un arrêt très favorable à l’Etat, mais qui pouvait permettre de solder tous les aspects de l’affaire : « Compte tenu des précédentes tentatives de médiation, la preuve n’est pas apportée d’une négligence. »

Par contre, a été négligente, au sens de l’article 432-16, la décision prise en juillet 2008 de ne pas former un recours contre la sentence arbitrale qui accordait à Tapie des montants astronomiques : 403 millions €, avec après paiement des dettes fiscales et bancaires, un solde de 270, incluant les fameux 45 millions de dommage moral. Un « montant exorbitant qui caractérise un détournement de fonds publics». A l’époque, on ne savait pas que la procédure d’arbitrage était faisandée, mais ces sommes devaient faire réagir, et il fallait tenter un recours.

Mais, la gestion a été du n’importe quoi : elle découvre que le compromis d’arbitrage a été changé en cachette, pour inclure ce préjudice moral, mais elle ne réagit pas ; elle ne tient aucun compte des avis pressant de faire un recours, ne lit pas les notes de son service ou de l’Agence des participations de l’Etat critiquant cette sentence, et elle ne travaille qu’avec ceux qui sont opposés au recours. Et elle renonce au recours sans même se laisser le temps de la réflexion prévu par le texte.

L’arrêt lui reproche « de ne pas avoir « étudié la sentence arbitrale dont les termes violents et constamment univoques ne pouvaient que conduire la ministre à explorer et tenter toutes les voies de droit pour obtenir la mise à néant d’un résultat aussi néfaste pour les finances publiques ». Une page complète de l’arrêt pour faire le tableau accablant de cette négligence : « Cette décision ne procède pas d’un choix politique malheureux mais d’une négligence » Donc coupable.

Alors quelle sanction ?

Une sanction… qui est la dispense de peine.

La dispense de peine est prévue par l’article 132-59 du Code pénal :

« La dispense de peine peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé.

« La juridiction qui prononce une dispense de peine peut décider que sa décision ne sera pas mentionnée au casier judiciaire ».

Ce n’est donc pas une déclaration d’innocence, mais une culpabilité non sanctionnée, disposition prévue pour des affaires modestes et quand tout conduit à tourner la page.

On regarde ?

Le reclassement du coupable, c’est oki. La coupable a effectivement un logement et un travail.

Le dommage causé est réparé… Non. La sentence a ensuite pu être cassée, mais l’argent public est toujours chez Tapie, avec des stratagèmes à la clé et une sauvegarde judiciaire, et bon courage pour faire rentrer l’argent.

De même, le trouble résultant de l’infraction n’a pas cessé, car cette affaire – grave comme l’explique lui-même l’arrêt – est toujours en cours, et marque l’opinion.

Et pourtant : dispense de peine, et absence de mention au casier judiciaire !  Ah que la vie est belle avec la redoutable CJR !

Un arrêt qui va bien aider à réconcilier nos compatriotes et la Justice…


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