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Mardi, 14 Mai 2024

Manif interdite ? Heureusement, il y a l’état d’urgence…

Auteur : Gilles Devers | Editeur : Walt | Mardi, 21 Juin 2016 - 22h14

L’interdiction de la manifestation de l’intersyndicale n’a aucune chance de passer selon les critères classiques du droit, car il faudrait démontrer que les forces de police sont tellement débordées qu’elles sont incapables de faire face à l’action de casseurs. Heureusement, nous n’en sommes pas là. En revanche, c’est parce que nous sommes encore sous « l’état d’urgence » que le ministère de l’intérieur a de vraies marges de manœuvre. La question devient alors de savoir si, réellement, nous sommes encore sous l’état d’urgence. La manif pourra-t-elle aller à Nation ?

1Une liberté fondamentale

La liberté de manifestation est l’une des plus essentiels et des plus fragiles car elle s’inscrit dans la contestation, et pose clairement la question des minorités dans la démocratie.

Or, il n’existe pas de base constitutionnelle explicite. Le texte fondamental est le décret-loi du 23 octobre 1935, intégré dans le Code de la sécurité intérieure, à l’article L. 211-1 s.

« Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et d’une façon générale toutes manifestations sur la voie publique ».

Pour trouver une base fondamentale, il faut donc aller voir du côté européen, et là, c’est du miel… saut pour El-Blanco.

Le droit à la liberté de réunion et d’association est un droit fondamental et, à l’instar du droit à la liberté d’expression, l’un des fondements de pareille société (CEDH, Djavit An). Comme tel, ce droit couvre, à la fois les réunions privées et les réunions sur la voie publique et dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive (CEDH, Rassemblement jurassien et Unité jurassienne, § 93;  CEDH, Karatepe )

Les Etats doivent protéger le droit de manifester dans les lieux publics et prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la jouissance effective de ce droit (CEDH, Chrétiens contre le racisme et le fascisme). L’Etat est le garant ultime du principe du pluralisme, ce qui conduit à reconnaitre à sa charge des obligations positives inhérentes à un respect effectif de cette liberté (CEDH, Informationsverein Lentia; CEDH, Wilson; CEDH, Ouranio Toxo). Ces obligations revêtent une importance toute particulière pour les personnes dont les opinions sont impopulaires ou qui appartiennent à des minorités, du fait qu’elles sont plus exposées aux brimades (CEDH, Baczkowski).

2La déclaration

La procédure de déclaration est définie à l’article L. 211-2 :

« La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l’Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’Etat.

« La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté.

« L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé ».

La procédure est donc particulièrement simple: il suffit, entre trois et quinze jours avant la date prévue, que trois personnes s’annonçant organisateurs adressent une déclaration écrite à la préfecture donnant leur identité et leur adresse, exposant le parcours et, très important, la thématique. C’est un régime simple, qui répond vraiment à l’idée d’un régime déclaratif. Avisées, les forces de l’ordre voient comment garantir l’effectivité et la sécurité pour les manifestants comme pour les tiers.

3 – L’interdiction

C’est l’article L. 211-4 qui prévoit les conditions dans lesquelles peut-être ordonnée l’interdiction de la manifestation:

« Si l’autorité investie du pouvoir de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ».

Ce texte est recul sur la jurisprudence, plus généreuse… et ce depuis l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933: il ne peut y avoir d’interdiction que si la manifestation présente de tels risques que les forces publiques ne seraient pas en mesure de faire face.

Toute manifestation dans un lieu public est susceptible de causer un certain désordre pour le déroulement de la vie quotidienne et de susciter des réactions hostiles, et le gouvernement doit apporter des éléments objectifs (CEDH, Oya Ataman).

Donc, il y a des manifestations qui regroupent plusieurs centaines de milliers de personnes, et une centaine de casseurs. Il faut donc prouver que les forces de police présentes ne sont pas en mesure de contenir l’action de ces casseurs sans laisser des dommages considérables. A l’heure où j’écris, il doit y avoir des discussions très serrées à la préfecture, mais, pour dire les choses franchement, soutenir qu’à Paris la police n’est pas en mesure d’encadrer une manifestation organisée par les grandes centrales syndicales, qui ont leur service d’ordre, donne le sentiment que l’État est parterre.

4 – Heureusement, il y a l’état d’urgence

Déclaré le 14 novembre, l’état d’urgence avait déjà été prorogé trois fois par les lois du 20 novembre 2015, du 20 février 2016 et du 19 mai 2016 pour effet jusqu’au 26 juillet. Selon la divine communication gouvernementale, l’état d’urgence répond au péril immédiat que fait peser sur la France le caractère inédit et exceptionnellement élevé de la menace terroriste. Guerre contre le terrorisme ? Il parait que c’est encore vendeur.

Et dans la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, on trouve le salvateur alinéa 2 de l’article 8 :

« Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ».

Il n’est plus question de manifestations « de nature à troubler l’ordre public » mais seulement « de nature à provoquer ou entretenir le désordre ». Donc, une manif de plusieurs centaines de milliers de manifestants était de nature à entretenir le désordre, nous sommes tous d’accord.

– Donc, c’est cuit ?

– Que nenni, car il va falloir mettre la loi en procès. Il faut vérifier si les critères de l’article 1 sont effectivement réunis, pour autoriser des mesures aussi restrictives de nos libertés.

– Et que dit cet article 1 ?

– Il dit que l’état d’urgence peut être déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

– Calamité publique, ça ne tient pas la route.

– Exact. Donc, nous sommes sur la première donnée, à savoir « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Huit mois après les attentats de novembre 2015, et alors que de toutes les procédures administratives de l’état d’urgence, aucune n’a conduit à l’engagement d’une procédure judiciaire sérieuse, on peut se demander si la loi votée le 4 mars respecte bien la constitution… Et je rappelle que le blog conteste dès le premier jour l’application de l’état d’urgence, car les services publics étaient tout à fait en mesure d’assurer l’ordre dans l’État, et qu’il ne fallait pas sur-réagir.

– Alors une question prioritaire de constitutionnalité ?

– Ce serait une pure blague, avec Fabius actuellement président du Conseil constitutionnel qui est un des acteurs de cette législation sur l’état d’urgence…

– Donc…

– S’il y a interdiction, il y aura dans les heures qui suivent une procédure de référé-liberté devant le tribunal administratif (Art. L. 521-2 du code de justice administrative) et un recours dans la foulée devant le Conseil d’Etat. Ce sera au juge de se saisir de tous les éléments de fait et de droit pour trancher.

– Si l’interdiction est maintenue ?

– Étape suivante dans quelques années devant la Cour européenne des droits de l’homme…

– Rien à plus brefs délais ?

– Peut-être la réaction des manifestants interdits lors des prochaines élections…

– Aïe, aïe, aïe… Mais il faut voter pour Hollande, c’est le rempart contre la méchante droite.

– Oui, cette méchante droite qui n’a jamais interdit les manifestations pour la Palestine, ni les manifestations organisées par les grands syndicats.


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